PAULO !

JOURNAL DE BORD

Périple 2010-2011 13 Mois de navigation solitaire sur un voilier de 6m75 Méditerranée, canal du midi, Atlantique

JOURNAL DE BORD 2010 TREIZE MOIS DE NAVIGATION SOLITAIRE 1ère partie : Corse, Sardaigne, Tunisie, Sicile, ouest Italie.

LES DEBUTS

Cela fait à peine cinq ans que je suis marin. Premier bateau en 2005: une barque de 3m20 achetée sur un lac voisin avec remorque et crochet d’attelage pour la voiture, le tout 150€ !... A ce prix on ne peut pas dire non…. Un mois plus tard, je l’emmène gouter l’eau salée de la méditerranée et c’est l’extase : Neptune me prend dans ses bras, exultations de joie… un petit moteur d’occase et c’est le premier cabotage sur la côte d’azur, vue côté mer. Le soir je dors dans la voiture et le matin, barque à l’eau et découverte de la côte, de Menton à St Raphael. Navigation à la carte Michelin !… Mais ce moteur, ça fait du bruit. Ce serait mieux avec une voile !... Trois mois plus tard une amie me téléphone : « j’ai trouvé ton bateau ». Un petit maraudeur, voilier de 4m83 qui croupissait tristement dans le jardin d’un vieil homme, sous les feuilles mortes !... Une fois dépoussiéré, il est en superbe état (sauf sa remorque…). Adjugé vendu, 500€. Je ne sais pas encore faire de voile, mais qu’importe !... Je dois trouver où accrocher tous ces câbles pour faire tenir le mat, l’usage de toutes ces ficelles pour monter les voiles, une devant, une derrière, mais tout est logique sur un bateau. J’ai fait deux après-midi de voile sur un dériveur quand j’étais jeune et des notions reviennent. Le propriétaire m’offre la bible des marins, le « cours des Glénant Â» ! Prise en main par petit vent, premières rafales qui font un peu peur, c’est la mer qui me donne ses leçons !... Transformation de la soute à voiles en « cabine Â» grande comme une tente de bivouac, camping gaz pour la cuisine, bricole en glanant des infos ici et là et un beau jour, première croisière : Antibes-Barcelone en cabotage. Cinq semaines de bonheur, de frousses, d’inconfort, de joies. La mer me prend aux tripes ! Le virus s’installe. « C’est pas l’homme qui prend la mer, c’est la mer qui prend l’homme… Â» L’été suivant, deux semaines sur le magnifique lac de Sainte-Croix. Autres leçons : naviguer sur un lac de montagne n’est pas aussi facile que je croyais. Vents thermiques, orages, tourbillons, une bonne école. D’ailleurs un champion olympique s’entraine ici. Et j’y trouve mon prochain voilier : un micro-challenger de 5m50, insubmersible. Quand même beaucoup plus confortable, plus de sécurité et au moins il ne prend pas l’eau !... L’automne suivant, quand les vacanciers sont rentrés et la mer un peu plus libre, mise à l’eau à Antibes et je fais le tour du Golfe de Gènes pour rejoindre l’île d’Elbe, tranquille tranquille… De là, on voit la corse en face ! Trop tentant… Parti au lever du jour, j’atteins Bastia en fin d’après-midi. Superbe navigation et trois heures sous spi, hissé tout seul !... Pas d’électricité à bord, pas de pilote automatique. Un sandow et un bout suffisent. Puis descente de la côte Est, Porto Vecchio, visite des îles du sud, Bonifacio, remontée de la côte ouest toujours lentement jusqu’à Calvi et de là, retour direct sur Nice en attendant un bon créneau météo. Je fais route avec un challenger horizon qui lui possède un GPS. Car quand même, à un moment on ne voit plus les côtes !... Le soir le vent s’arrête ; ils continuent la route au moteur et moi j’affale les voiles pour passer une nuit merveilleuse sous la lune, sur une mer d’huile au milieu de la respiration des dauphins… Le lendemain, j’atterri à Menton, remet le bateau sur sa remorque et rentre pour l’hiver dans mes montagnes…

LE MARIN SE CONFIRME L’année suivante, coup de chance incroyable : alors que j’ai mis mon bateau à l’eau depuis une dizaine de jour, un ex-beau-frère, Gérard, me propose une place d’équipier pour une transat-transamazonienne sur son nouvel Océanis 43, un voilier de 13m... Sa compagne et équipière vient d’être hospitalisée et il est inscrit au rallye des îles du soleil dont le départ est dans quinze jours à Madère. Je dis oui, bien sûr et fais un fabuleux voyage de sept mois avec une vingtaine d’autres voiliers !... Je serai enrôlé comme équipier de remplacement sur cinq autres voiliers ; belle expérience !... Que j’ai raconté en partie dans un autre journal de bord inachevé. Equipier c’est bien mais un petit chez-soi est mieux qu’un grand chez-les- autres. En 2009 je repars seul sur mon micro challenger pour visiter l’Espagne, faire le tour d’Ibiza et continuer jusqu’à Carthagène où je décide de faire demi-tour car la saison avance et je ne me sens pas de passer l’hiver sur un aussi petit bateau mal équipé : pas d’électricité, pas de pilote automatique, la bonne vieille méthode du bout et du sandow… Pas de soucis non plus !... J’ai également écris un petit journal de bord qui s’est volatilisé sur internet !... avec quelques incidents marquants dont un quasi naufrage par vent de force 9, forte tempête, aux environs de Valencia. Cela ne m’a pas empêché d’acheter l’été suivant le challenger horizon pour aller encore plus loin, plus longtemps…

DEBUT DE LA GRANDE CROISIERE.

Aout 2010 Je l’avais vu ce bateau, en surfant sur internet puis perdu et retrouvé quelques mois plus tard. Sans être vraiment décidé, j’ai téléphoné et le propriétaire m’a répondu : « il est toujours à vendre mais plus à 7000 mais à 5000€ ! »visible à Port-Camargue. Ma cousine Marie-Jo qui y habite envoie son fils Johann voir… Et il me téléphone : « viens voir ça vaut la peine ». J’arrive le lendemain et j’ai peine à y croire, le bateau me semble neuf, il a très peu navigué de toute évidence et Philippe son proprio qui est peintre en bateau vient de refaire entièrement les peintures et s’est trouvé un autre voilier plus grand pour lui et sa famille. Marché conclu, on fait les papiers. Après avoir installé l’électricité, panneau solaire et pilote (fourni mais pas monté), on le met à l’eau… Première déconvenue : en manÅ“uvrant la dérive, elle sort de son vérin. Heureusement, c’est le vendeur qui a manÅ“uvré, sortie de l’eau, constat, il faut remplacer le pas de vis du vérin… Deux jours de travaux !... 20 aout 2010 Sorti du port, le moteur s’avère totalement inefficace et le pilote également !... On ne peut pas tout avoir… Avec mon ami Fred, on continue néanmoins la navigation pour rejoindre Marseille où j’achète un nouveau pilote neuf Raymarine ST1000 et l’installe. C’est compliqué la plaisance !... Clara remplace Fred et nous quittons le Vieux-Port pour l’île du Frioul à deux milles en face. Escale de deux jours et nous partons pour les calanques voisines avant que le mistral ne se lève pour plusieurs jours. Avant même d’atteindre cap Croisette, Clara est dans la cabine, verte, la tête dans un sac plastique, mal de mer !... Changement de programme, escale-dépose à Cassis où elle retrouve le plancher des vaches. Désormais, je naviguerai seul, libre et maître de mes choix. 28 aout Le lendemain mistral ! Je décide de partir quand même pour voir ce que le bateau à dans le ventre. Ayant prévu de naviguer tout l’hiver vers le sud, autant savoir tout de suite ! Je vais dans le sens du vent, vers les îles du Levant. Prudemment je déroule le génois à moitié… Ca va déjà bien vite !... Puis me faisant dépasser par deux autres voiliers, je déroule un peu plus mais suffit. Je n’ai pas encore le bateau en main. Les milles défilent et je croise le cap Sicié face à Toulon. L’île de Porquerolles est devant à une dizaine de milles. Il ne faut pas bien longtemps pour y arriver et au moment de me mettre à l’abri du mistral et de jeter l’ancre, le moteur refuse de démarrer !... Angoisse ! Je contourne tant bien que mal un petit cap mais sans grand-voile, difficile de manÅ“uvrer et jette l’ancre. Le bateau stoppe face à un mistral carabiné et je passe une heure à faire redémarrer le moteur. Une seule issue, l’échanger contre celui que j’ai à la maison. 31 aout 2010 Lorsque le mistral se calme quelques jours plus tard, je continue ma route, fais escale à St Tropez pour saluer ma sÅ“ur Sylvie puis quelques jours plus tard, rejoins Antibes, procède à l’échange de moteur, fais les dernières mises au point techniques avant la grande aventure !... Grosse averse dans le port, quatre fuites dans la cabine, lit trempé, mastic silicone !... J’achète un vélo pliant et une canne à pêche qu’un pécheur du ponton m’équipera gentiment car je n’y connais rien ! 10 septembre 2010 Mouillage, repas et sieste dans une petite crique de St Jean cap Ferrat, face aux maisons des milliardaires et après un petit plongeon je décide brusquement de partir pour la Corse !... La météo est favorable, pourquoi hésiter ? De toute manière il faut passer une nuit en mer alors, partir en milieu d’après-midi ou tôt le matin !... Grand largue, le bateau avance bien, le pilote marche à merveille me laissant les mains libres !... Tout en naviguant, j’inscris le nom du bateau sur la bouée de sauvetage règlementaire : CAPRICE 2 MARSEILLE. C’était son nom, je n’ai pas voulu le changer en faisant les papiers. Coucher de soleil, assis en lotus dans le cockpit, je contemple et jouis !... La nuit tombe, on ne voit plus les côtes, le vent continue, régulier. Le pilote fait son travail, je prépare le repas, un petit verre de vin, le bonheur ! Vers minuit, le vent cesse complètement. J’affale les voiles : mer d’huile, le silence sous les étoiles, la plénitude ! La lune se lève, quiétude… Je dors sur le pont, juste une légère couverture, bercé par un léger roulis, que c’est bon… La lumière point à l’Est, une légère brise s’établi, je hisse les voiles et le bateau glisse silencieusement sur les flots vers l’horizon orangé de l’aube qui s’annonce. On distingue des formes derrière lesquelles la boule de feu de l’astre du jour s’élève : la Corse ! Encore lointaine, mais elle est là… Un peu rassurant quand même au milieu de cette immensité d’eau. Le vent est paresseux et il faut mettre un peu de moteur pour le soutenir. Soudain, une longue forme sombre devant le bateau, à cent mètres environ. Puis un jet, c’est une baleine !... Bénédiction, comme c’est beau et émouvant ! Elle poursuit son chemin, tranquillement, sereinement. Comment des hommes ont-ils pu penser, imaginer tuer une pareille majesté ?... J’en rencontrerai trois autres dans l’heure qui suit, séparées, tranquilles. La préservation et la protection de l’espèce semble porter ses fruits. Périodiquement j’arrête le moteur, mais le vent est trop faible, il faut redémarrer. Midi, la côte approche mais elle est encore loin. J’espère arriver au port avant la nuit… Mais rien n’y fait. J’arrive de nuit sur une côte inconnue avec un simple GPS et une carte pas trop détaillée… Je n’aime pas cela mais que faire ?... Les lumières du port se confondent avec celles de la ville, il y a des rochers, une presqu’île à contourner, j’écarquille les yeux, distingue des formes noires dans l’obscurité. Finalement je décide de jeter l’ancre face à ce qui semble être une plage, jusqu’à demain matin.

14 septembre 2010 Depuis quelques jours je longe le désert des Agriates, une magnifique zone naturelle protégée. Le vent étant faible, je profite pleinement de cette côte, plongée, baignades, balades pieds nus sur la terre sacrée et corps vêtu d’espace dans ce paradis de nature. Un jardin d’Eden, la pureté primitive, le cÅ“ur en communion avec l’âme du monde… Plénitude, bonheur, union… 16 septembre Je quitte ce paradis. Pourquoi cette envie de bouger lorsqu’on est bien quelque part ?... Pour aller voir ailleurs si c’est mieux ? Ou un fond d’insatisfaction indéfinissable ?... Quoi qu’il en soit, je pars avec une petite brise matinale vers cette côte inconnue qui est en face, cap Corse, le doigt de la Corse… Le vent ne tarde pas à s’essouffler, ne laissant qu’une mer chaotique qui secoue le bateau en tous sens. Je borde la grand-voile pour stabiliser le bateau et démarre le moteur, mais la houle est si forte et le vent nul que la voile continue ses claquements sinistres qui me martyrisent jusqu’au fond de mes tripes. C’est curieux comme un marin ressent son bateau comme un prolongement de lui-même ! La côte à cet endroit n’est qu’une immense falaise tombant à pic dans la mer. Il me faut continuer jusqu’au port-abris de Centuri pour échapper à cette agitation. Et là, juste en face du port, craaac, la voile se déchire sur près d’un mètre !... Le port est très joli, ancien voire antique !... Je cherche en vain une machine à coudre à prêter. Il y a une réparatrice de voiles dans le prochain port, à quelques kilomètres par la route… Mais en bateau, il faut contourner le cap corse, 50 km. Demain !...

17 septembre La météo est clémente ce jour-là. Je contourne ce cap magnifique qui peut être redoutable lorsque le vent se lève et arrive à Macinaggio. La couturière en voiles me demande trop cher pour une voile qui n’en vaut plus la peine et je répare moi-même avec une longue bande de voile collée au mastic silicone… qui tiendra plusieurs mois jusqu’en Tunisie. J’appliquerai la même méthode huit fois avec succès jusqu’à ce que je m’offre une voile neuve à Sousse, Tunisie. Avis aux amateurs !

20 septembre 2010 Descente tranquille en découvrant côte et criques jusqu’à Bastia. Un régal ! Une nuit dans le vieux port, balade nocturne en ville, achat de spécialités corses et tôt le lendemain matin, je reprends la mer. J’aime assister au lever du soleil sur la mer et ici, c’est la côte Est… Un peu plus loin, un magnifique quatre-mâts battant pavillon maltais est à l’ancre. Comme je suis petit à côté ! Des passagers répondent à mes saluts amicaux… Le temps est splendide une légère brise fait glisser le bateau sur les flots… Navigation reposante. A midi, mouillage devant la longue plage infinie qui constitue la majeure partie de cette côte Est de la Corse. Repas , baignade, sieste, que demande le peuple ?...

21 septembre Ce soir, en relevant la quille, je parviens à rentrer dans l’étang de Diane. 40cm de tirant d’eau c’est très juste, je touche deux ou trois fois, mais c’est magnifique ! Nuit sous la lune et les étoiles dans une pureté naturelle… Croassement des grenouilles… Sérénité…

28 septembre Après avoir flâné librement en descendant la côte orientale corse, arrêt à Porto Vecchio pour y voir Frank, un ami de longue date. Quelques jours plus tard, départ matinal pour voir comment est le vent dans les bouches de Bonifacio. Il ne m’a pas laissé le choix. A peine sorti de la baie, il m’a happé et ne m’a plus lâché. Je pensais faire une étape, que nenni !... J’ai dû prendre deux ris en catastrophe, réduire le génois au maximum et espérer que le vent ne m’entraine pas au large, m’interdisant la Sardaigne et me forçant à rejoindre Rome, 150 milles à l’Est. Voiles réduites je faisais un bon 7 à 8 nÅ“uds de moyenne ! Mon record pour l’instant. C’est grisant, la mer magnifique, mais un peu inquiétant quand même. Et voilà que la ligne de traine ploie à se rompre !... Un poisson. Je l’invite à bord : une magnifique bonite de 40cm. Pas de chance pour elle… Je parviens quand même à rejoindre la Sardaigne et à trouver un petit mouillage abrité pour la nuit afin d’y déguster mon poisson.

30 septembre Le nord-est de la Sardaigne est un archipel qui demande à être exploré en détail. J’ai envie de naviguer et je le passe rapidement, ne faisant étape que pour la nuit. Il faudra que j’y repasse ultérieurement. Le vent permet de faire une navigation tranquille, sans inquiétude et je jouis du soleil, de la mer, de la douce température et du paysage magnifique qui se déroule autour de moi.

4 octobre 2010 Cette nuit à 2h, le claquement des drisses contre le mat m'a réveillé. 4h de sommeil étant suffisantes, je me suis fait un café en m'habillant, bien décidé à quitter le petit port sarde qui m'a abrité hier soir. Il ne faut pas perdre un instant de cette précieuse brise de terre permettant de descendre vers le sud avant que le vent contraire ne prenne le relais dans la matinée. Hier c'était le même scénario, prévu par la météo et je n'aime pas avancer au moteur sauf obligé. Une demi-lune orne le ciel et la température douce n'empêche pas de se vêtir chaudement et de mettre matelas et couette sur le pont pour surveiller la marche du bateau, le nouveau pilote automatique s'occupant du reste. Le bateau file tranquillement ses 5 nœuds pendant que scintillent les vagues argentées sous la lune et que le chant du clapot indique sa bonne marche lorsque je somnole. Mais il faut souvent intervenir; le pilote payé fort cher donne souvent du souci et il faut encore apprendre à le maîtriser. La scène est magnifique. Le glissement de la coque sous les étoiles n'est pas sans rappeler ces longues nuits de quart durant la transatlantique où l'esprit se prend à rêvasser tout en surveillant la marche des étoiles pour ne pas perdre le cap. Ce qui me plait dans la navigation à la voile, c’est le contact intime, palpable avec cet univers qui nous entoure, la nature primordiale et les éléments qui, bien sûr, nous donnent parfois à en découdre... Arrivée à Cagliari, ville antique du sud de la Sardaigne. Visite intéressante dans les ruelles chargées d’histoire. Probablement il faudra attendre quelques jours ici que le vent tourne afin de faire la longue étape vers le sud de la Sardaigne puis la grande traversée vers la Sicile. Mais la météo doit être parfaite car il y en a pour deux ou trois jours sans escale.

6 octobre 2010 Actuellement, je suis en mer, entre la Sardaigne et la Tunisie. Cette nuit, vers 2h j'ai levé l'ancre, le vent étant dans la bonne direction, sans trop réfléchir... J'avais bien entendu consulté la météo du matin qui semblait bonne pour cette expédition, mais il y a toujours une petite inquiétude au fond du cœur car ce n'est pas une science exacte !... Et c'est une nuit sans lune. Plusieurs fois ces derniers temps j'ai usé du même stratagème pour profiter des vents thermiques de la nuit et avancer le long des côtes de la Sardaigne; le matin le vent s'arrête et j'ai souvent du continuer au moteur contre le vent de l'après-midi. Aujourd'hui, le vent est parfait: stable, continu, il rappelle celui de l'atlantique pendant la transat !... Au point que je viens d'affaler la grand-voile pour ralentir l'allure et arriver au lever du jour à Bizerte, port que je ne connais pas. J'ai croisé plusieurs cargos. Cette nuit il faudra être vigilant car je traverse le rail de tous les cargos qui passent par le canal de Suez, traversent la méditerranée jusqu'à Gibraltar et remontent jusque dans l’Europe du nord pour l'approvisionner en produits chinois et autres... C'est assez délicat car ce sont de grosses masses éclairées et on ne distingue pas très bien les feux de position indiquant leur direction. Dans le noir il est difficile d'évaluer la distance... J'appréhende un peu !... car je sais qu’eux ne voient pas les petits voiliers sur leurs radars. Il faut compter sur la vigilance de l'homme de quart, et de toute manière les éviter soigneusement et passer par derrière !... Café, café, café. Tout à l'heure j'ai enfin péché un poisson après une bonne semaine d'insuccès. Un petit espadon qui doit faire 60cm de long. C'est une grande première!... Je me suis excusé de lui avoir ôté la vie en lui chantant quelques mantras bouddhistes...

Première fois que je vais sortir de l’Europe avec mon voilier et faire une déclaration en douane !... Le drapeau tunisien est déjà accroché et bientôt j'atterrirai en Afrique!... A midi, un peu de radio tunisienne et de musique orientale me ravit. A toujours écouter et voir les médias français on a l'impression d'être au centre du monde; c'est ce que j'appelle parfois l'hexagonite aigue !... Le soir, matelas sur la plage arrière du bateau, couette et oreiller pour faire le quart (en fait, les quatre quart !...) de manière relativement confortable. Tant qu'il ne pleut pas !... En fait, il fait plutôt frais et l'agitation de la mer oblige à rentrer dans la cabine pour se caler tant bien que mal et passer le reste de la nuit dans l'inconfort... Impossible de ralentir le bateau. Je vois les lumières d’un cargo à bâbord. Je le laisse largement passer devant. Mais sur tribord, je vois une masse de lumières s’approchant. Est-ce déjà la côte ? Non, ce sont des cargos, mais au lieu de se suivre en file indienne, ils ont des routes parallèles… et me voilà pris au milieu sans possibilités de manÅ“uvrer. Et bien sûr, pour tout compliquer, je suis en fin de batterie !... Je dois plonger dans la cabine, brancher une batterie de secours pour allumer mes feux de position et quand je ressors l’énorme projecteur d’un cargo est droit sur moi, m’ébloui et je distingue la gigantesque boule de son étrave à quelques dizaines de mètres !... Je passe, mais de justesse… vient le suivant : très peu éclairé. Dans le noir, je ne vois que deux lumières, y-a-t ’il un cargo entre deux ? Oui, je passe derrière mais ma marge de manÅ“uvre est réduite car j’avance au seul génois et vent et houle sont fort !... Je passe enfin le dernier cargo et c'est de nuit, sans carte marine détaillée que je parcours les derniers 15 milles me séparant de Bizerte. La côte est une longue bande de lumières dans laquelle il faut distinguer celles du port. Je ne peux que me fier au GPS en espérant qu’il n’y a pas d’erreur (ni de rochers ou de haut-fond !...). Enfin, le cÅ“ur palpitant et la boule au ventre, j'entre dans le port de Bizerte avec appréhension pour me trouver dans un chantier immense: ils sont en train de construire une nouvelle marina et les grues travaillent jour et nuit !... Tant pis, je jette l'ancre dans un petit coin à l’abri du vent pour dormir jusqu'au petit matin...

Le lendemain, je vais dans le petit port de pécheurs situé juste à côté pour effectuer les formalités d'immigration avec des douaniers très aimables.

Je resterai une semaine dans ce port, parmi les pécheurs et leurs beaux bateaux en bois multicolores. Un couple fort sympathique de navigateurs anglais chargera toutes les cartes marines du monde sur mon ordinateur ainsi que le logiciel pour recevoir les prévisions météo marines UGRIB. Cela s'avèrera fort utile par la suite. Un autre anglais de 65 ans me donne toutes les cartes de Grèce car il part aux Fidji où il est né, pour y passer le reste de sa vie. Belles rencontres à Bizerte...

J'en profite pour faire un aller/retour à Sousse (3h de bus) commander la nouvelle voile dont j'ai tant besoin. Le patron de l'usine, un français, très compétent, me conseille et me fais un devis au meilleur prix; commande ferme, dans 10 jours j'aurai ma voile.

13 octobre 2010 Je suis arrivé à Sidi-Bou Saïd, le port de plaisance le plus proche de Tunis. Juste à côté du palais présidentiel du dictateur Ben Ali dont les portraits immenses s’étalent sur des panneaux géants à tous les coins de rue !... Ça fait bizarre… J’y passe quelques jours agréables, visitant la ville, les ruines romaines de Carthage, le port de la goulette…

17/10/2010 Eh mec, t'as peur de mourir ?... L'inquiétude (l'inverse de la quiétude !... autre mot pour la tranquillité...) m'a prise tout à l'heure: j'ai levé l'ancre pour rentrer à Sidi Bou Saïd, le port que j'ai quitté ce matin, car j'avais peur que le coup de vent annoncé ne vienne me coincer cette nuit dans la petite crique où je me suis abrité. Puis je suis revenu... Mourir, quelle drôle d'idée alors que j'ai vécu 60 ans en défiant la mort à chaque minute, à chaque seconde !... Mais la MER c'est une maîtresse !... tu l'aime autant que tu la redoute. Elle t'attire mais elle peut te broyer en quelques secondes et tu le sais !... La plaisance peut vite devenir déplaisante. J'ai choisi finalement de rester dans cette petite crique aux eaux enchantées; des sources chaudes jaillissent de la mer et sur la plage où je me suis baigné tout à l'heure. Bonheur éphémère car en cet instant l'orage gronde dans le lointain... Serais-je encore vivant demain ?...

Il nous faudra tous un jour quitter cette vie que nous ressent comme éternelle alors que nous savons qu'elle ne l'est point !... Nul ne connais ni le jour ni l'heure.... Je n'ai pas envie de mourir mais je veux vivre mes rêves avant de mourir, même si je sais qu'un rêve n'est qu'un rêve.... Face à l'éternité .... Des milliards d'êtres humains et encore plus de milliards de milliards d'êtres vivants, ce consciences indépendantes dans cet immense univers ont vécu et sont mort ayant vécu leur propre histoire au centre du monde !.... Et je ne suis que l'un d'entre eux, promis à cette issue fatale...

J'ai testé mon ancre en plein mistral, elle a tenu !... Ici ce ne devrai pas être bien pire. La peur est une question d'imagination: on envisage un certain futur possible en rapport avec des expériences passées qui ont imprégné notre mental de manière si profonde que l'on redoute qu'elles ne se reproduisent en pire peut-être, mais cela nous éloigne du réel. C'est vrai que j'ai connu de sacrées branlées en mer depuis les deux années que j'ai passé sur cette surface aqueuse aux réactions imprévisibles liées à l'élément air et cela marque l'esprit. J'en suis sorti vivant jusque-là, mais combien de temps encore ?...

Je prépare quand même mon sac étanche de survie, avec des vêtements secs, mes papiers, la carte de crédit au cas où ?... La plage n'est pas loin, si je perds le bateau et que la vie m'est épargnée j'aurais de quoi continuer !... Rentrer en France, fêter les 90 ans de maman et mes 60 ans....

Bon, il pleut maintenant, la tempête continue dans la nuit noire, le bateau est secoué en tous sens et je vais me coucher... Enfin, m’allonger sans dormir. Peut-être pour la dernière fois ?... Y-a-t ‘il quelque chose après la mort ?....

19 octobre

J'ai survécu !... Mais à quel prix... La nuit avait bien commencé mais c'est vers minuit que tout ce gâta. En tornade, en cataractes avec les rafales de vent qui l'accompagne, l'orage est arrivé. Heureusement l'étanchéité révisée il y a peu est efficace. Sur terre, on en a pas conscience, mais en mer les conséquences sont immédiates: la houle s'enfle, le bateau danse, tangue, roule et toi à l'intérieur tu subis.... L'impression d'être balloté comme dans une machine à laver. Heureusement, je n'ai pas le mal de mer, mais parfois c'est limite !.... Et l'inquiétude de savoir si l'ancre va tenir ? Car derrière, les rochers, à 30m, dans la nuit noire et la tornade. Il ne fait pas bon glisser dessus ... Et la tempête enfle à n'en plus finir... Je regarde les heures passer, tout doucement, trop doucement car je préfère voir au cas où !... Je vérifie si tout est dans le sac étanche. Mentalement je révise les gestes à faire, mais il n'y a pas grand-chose à faire... je n'ai pas envie de mourir, c'est là que je m'en rends compte!... J'essaye de me caler au mieux mais ça ballotte dur; les muscles sont toujours en action pour se retenir, compenser...

      Enfin le jour se lève. Je suis relativement bien protégé dans cette petite crique; Au dehors, c'est la furie, pas question de partir. Et ça saute, et ça secoue.... sans cesse. Je me fais quand même un café pour passer le temps... Puis peu à peu le vent change de secteur; je commence à le prendre de face et la houle de rentrer directement dans la crique. Il va falloir prendre une décision. Les fiches météo que j'ai enfin réussi à décrypter sur l'ordinateur, n'annoncent rien de bon. La situation s'aggrave dans les jours à venir.  Mais pour rejoindre Sidi Bou Saïd qui se trouve 10 milles en face, c'est l'enfer. Je ne suis pas sûr d'y arriver.

Avant de partir, car je ne peux rester, je décide d'aller voir le pécheur qui vit seul dans une cabane derrière les sources chaudes. Palmes, maillot de bain, l'eau est plutôt chaude comparée à l'air. Arrivé à la cabane, j'entends psalmodier le coran. C'est la prière de midi. Je frappe, il ouvre après un long moment, me voit grelottant, regarde si le bateau est toujours là pour se rassurer et me fait entrer. Sa cabane est minuscule, faite de débris de bois coupé du vent par des morceaux de plastique.... Il me confirme qu'il y a un petit port, un abri pour quelques barques de pécheur à courte distance de là. On grimpe sur la colline et il me montre exactement où c'est. Heureusement sinon je l'aurai manqué. Après un café gentiment offert et un bon bain dans les eaux chaudes de la source, je rejoins le bateau à la nage et me prépare à appareiller. Il ne faut rien oublier car la sortie promet d'être délicate !... Moteur en marche, aller à l'avant remonter l'ancre contre le vent, dès qu'elle décroche, courir à l'arrière assurer au moteur et à la barre pour éviter les rochers, affronter la houle qui s'engouffre... Evidemment, rien ne se passe comme prévu, le bateau tourne dans le mauvais sens, fonce droit sur la plage de galets... Je réussi à le rattraper et là commence une longue et pénible remontée face au vent et à la houle pour sortir de ce piège. C'est mètre par mètre que je gagne du terrain. Une fois déporté à gauche, je vois les rochers menaçants s'approcher. Non, il ne faut pas!... Une fois à droite, ce sont les rochers de la pointe qui se dressent !... Le moteur donne toute sa (petite) puissance, gagne encore quelques mètres. Ne tombe pas en panne mon petit... Je tente de l'aider en envoyant un peu de voile mais la violence du vent me les arrachent des mains. C'est pire. Je ramène la toile tout en maintenant le cap vers la sortie. Je n'ai pas le choix, il faut réussir sinon c'est le naufrage et le bateau déchiqueté par les rochers, peut-être son capitaine aussi !... Enfin après de longs efforts je prends un peu de distance, bloque la barre et passe à l'avant pour démêler les écoutes de voile. Il faut se tenir fermement sinon .... Enfin je parviens à envoyer un peu de génois et le bateau se stabilise et avance vers l'abri inconnu... Arrivé là, il faut avoir la foi. Foncer vers les rochers en espérant virer juste derrière la petite digue annoncée pour trouver le refuge promis. Mais je ne vois rien. Pas de phare, pas de balise, aucun signe et il n'est pas indiqué sur les cartes... Conscient du danger, j'y vais. C'est quitte ou double !... Si ça ne passe pas, je me fracasse, pas de demi-tour possible. Go...!... Au détour de la digue, d'autres cailloux malsains. Le passage n'est que de quelques mètres. Une déferlante passe juste devant, je la suis et entre dans l'enclave où quelques barques de pécheurs sont à l'abri. Moi aussi... Mais il faut encore s'arrêter, jeter l'ancre, se débrouiller contre le vent pour assurer le bateau et ne pas se heurter contre les autres barques. Car rien n'est prévu ici, pas de pontons, rien. C'est grâce à ma quille relevable que j'ai pu entrer... Mais enfin un peu de calme. Le soir, deux jeunes du coin s'invitent à bord, boire du vin, papoter, écouter de la musique... Une fois de plus, J'ai eu chaud !... Mais pourquoi se met-on dans de pareilles situations au lieu de rester tranquillement chez soi ?...

25 octobre 2010

J'ai quitté la Tunisie il y a trois jours... Après avoir reçu la nouvelle voile que attendue avec l'impatience d'une jeune mariée qui attend sa robe, je l'ai essayée: parfaite... Départ au petit matin. Magnifique traversée, bon vent, pleine lune, cap sur la Sicile, retour en Europe... Le rail des cargos est beaucoup plus large qu'indiqué sur les cartes marines. J'y suis encore lorsque la nuit tombe et dois attendre 2h du matin pour en être sorti. Mais sous la pleine lune, c'est beaucoup plus facile qu'à l'aller dans la nuit noire !... Le pilote automatique s'est remis à fonctionner après 2 jours de panne ?.... Cela me permet de prendre de bonnes tranches de sommeil !... Au petit matin, le vent tourne et je le prends de face. C'est avec peine que je parviens aux îles Egadi, à l'ouest de la Sicile pour m'abriter et enfin dormir... Téléphone à Toto, un skipper sicilien dont j'ai eu le contact par Fred. Il m'attend à Balestrate à une vingtaine de milles. Bon vent portant, un poisson au bout de la ligne et de magnifiques voiliers de course croisés au loin. La Sicile est magnifique sous ce soleil. Le phare du cap San Vito est passé, arrivée dans la future marina de Balestrate où Toto m'accueille. On ne s'est jamais vu, et tout de suite le contact est bon.

30 octobre

Toto (diminutif de Salvatore en Sicile...) est un marin très expérimenté qui a sillonné les mers du globe. Au fil des conversations il me donnera foule de renseignements sur diverses régions du globe et pourquoi pas, une envie de naviguer en mer rouge dans quelques mois y chercher un peu de soleil et des paysages magnifiques aux confins du désert... Grâce à son aide logistique, j'achète les matériaux pour surélever la cabine et ainsi me tenir debout avec une vision panoramique à l’abri des intempéries. L'hiver approche et il faut prévoir un minimum de confort !... Et de sécurité. En deux jours, le travail est terminé. Cela change la vie à bord: plus besoin d'être plié en deux pour faire la cuisine et la navigation par pluie ou temps froid pourra se faire de l'intérieur !... Une grande amélioration faite à peu de frais, 70€ de matériel !... Toto me fera visiter sa Sicile bien aimée pendant des jours, rencontrer ses amis, m’amènera aux sources chaudes m’y laver (il paraît que je pue !...). Me faire visiter des lieux magiques, voir les moulins à huile d’olive… Quelle belle rencontre et quel réconfort chaleureux dans cet hiver froid et humide de mon mini-bateau !

Dimanche 7 novembre J’ai quitté Balestrate il y a quelques jours pour longer la côte nord de la Sicile. Quelques belles étapes dans des ports historiques puis je pique sur les îles éoliennes. C'est toujours magique de voir une île à l'horizon, surgir de la mer et de la brume!... Lorsque je l'ai aperçue hier en fin d'après-midi, je n'ai pas beaucoup réfléchi: la mer et le vent se languissaient depuis le matin, du moteur trop souvent, j'ai viré à 90° et ainsi mieux profité du vent, pas très violent... Puis il s'est arrêté lui aussi et j'ai passé la nuit ainsi, toutes voiles dehors pour éviter le roulis et le bateau continuait à dériver lentement sur une mer sans ride par une nuit sans lune, sans un son !... Féérique !... Le plancton étincelait dans l'eau en myriades d'étoiles répondant à celles du cosmos; de temps à autre j'allais dormir, puis je me réveillai passer du temps sur le pont dans la douceur de la nuit, vérifier la marche du bateau qui avançait lentement à 2 ou 3 km par heure !... Au petit matin la vision était surréelle: des brumes s'élevaient de l'eau, plate comme un miroir et là, devant moi, s'élevait le cône de l'ancien volcan qui constituait l'île d'Alicudi, la première des îles éoliennes que j'approchai. Au lever du soleil, accostage sur le petit ponton réservé aux ferries; le premier n'arrivait qu'à dix heures ce qui me laissait quelque temps pour avoir un petit aperçu des lieux. Pas de voitures, les pentes sont abruptes. Des ânes transportent les lourdes charges. Il y a une bonne centaine de maisons qui s'égrènent le long d'un chemin montant jusqu'au sommet, le cratère situé à plus de 600m. Des murets de pierre retiennent de petites restanques où la végétation est luxuriante. Tout est propre, soigné. Les gens disent tous bonjour... Une atmosphère de calme profond se dégage de ce lieu qui semble avoir été oublié par le temps. Il est habité depuis le temps antiques et cela se ressent....

Puis je repars avant l'arrivée du ferry et c'est une bonne brise qui me pousse vers Filiduci, l'île suivante située à une dizaine de miles nautiques seulement (20km). Une gigantesque colonne de lave refroidie, haute de 100m se dresse hors de l'eau en arrivant sur l'île. Cette forme m'intrigue depuis ce matin, je décide de l'approcher de très près: c'est étonnant. Je n'ai jamais rien vu de tel... Cela a dû intriguer tous les marins depuis la plus haute antiquité et faire naître nombre de légendes !... Ulysse est certainement passé par là.

Mercredi 10

LIBECCIO, c'est le nom du vent sud-ouest qui m'a tenu scotché trois nuits dans le port de Salina, le seul vent qui entre dans ce port et fait sauter les bateaux !... Mais pas le choix: j'y suis arrivé en catastrophe à 4h du matin après avoir essuyé un sacré orage, m’être foutu une sacrée frousse (une fois de plus !) et bien content de trouver ce port... Evidemment les nuits furent agitées mais c'est préférable au vent qui n'a pas cessé une seconde. Je me suis à nouveau posé la question: est-ce que je rentre à la maison ou je continue ?... Le vent était tout indiqué pour rentrer et je me serai retrouvé à Rome aujourd'hui !... La vie de navigateur solitaire n'est pas toujours facile et parfois stressante... Puis l'envie de continuer l'a emporté et je suis en route vers le détroit de Messine et ses légendaires Caribes et Scylla que je devrai passer ce soir ou demain. La météo est bonne, c’est à dire presque pas de vent... J'ai eu de bonnes bourrasques ce matin au départ puis pétole à midi. Je croise en ce moment dans les îles éoliennes au nom bien mérité, à bâbord le Stromboli et son cône fumant s'élevant sur la mer, à tribord Vulcano... Mais je n'irai pas les visiter cette fois. J'ai envie de naviguer, d'être en mer. Une fois passé le détroit de messine, cap sur la Grèce, tranquillement, en cabotage. D'ailleurs la météo n'annonce que de faibles vents pour les jours qui viennent, donc relax. Le choix est donc fait, hiver en méditerranée en descendant progressivement sud-est, Crète, Chypre, Liban, Israël pour voir la crèche à Noël, Egypte... enfin ça c'est une idée générale, on verra au fur et à mesure.

Dimanche 14 novembre

Lever de soleil sur le Cône enneigé de l'Etna, fond bleu azur du ciel d'automne, majestueux !... Il faudrait être insensible pour ne pas trouver cela beau... C'est sur ce fond de paysage que je naviguais hier, toutes voiles dehors au grand largue pour rejoindre Naxos, sur la côte sicilienne. Après avoir passé le détroit de Messine et fait cap sur la Grèce, une longue étape de 230 milles nautiques (environ 400 km), j'ai rebroussé chemin le soir, quand le ciel s'est couvert, que le tonnerre a grondé et les éclairs illuminé terre et nuages confondus... L’orage de ces derniers jours m’a laissé des séquelles ; j’en ai marre de me faire peur et les ports pour s’abriter sont rares dans cette zone. C'est dans l'obscurité totale avec angoisse et m’en remettant une fois de plus à ma bonne étoile que je suis rentré dans le port désaffecté indiqué sur ma carte avec de jolis phares rouge et vert comme il se doit. Mais de phares, point. Une fois de plus j'ai remis ma vie et mon bateau dans les mains de la mère divine, longé une digue qui s'illuminait à chaque éclair que Zeus envoyait et effectivement j'ai aperçu des petites barques de pèche amarrées ici et là. En urgence et contre le vent j'ai jeté l'ancre et une grosse quantité de chaine et... Rien ?... Pas de fond !... Je balance le solde, passe plusieurs mètres de corde attachée au dernier maillon et enfin le bateau s'immobilise. Il doit y avoir au moins 15m de fond. Le lendemain je comprends que c'est un ancien port industriel désaffecté, destiné à recevoir les cargos et que squattent les habitants du coin. Je passe la journée tranquille dans le bateau pendant que souffle le vent qui devait m'emmener en Grèce et je réfléchis...J'en ai un peu marre d'avoir peur, ce n'est pas mon but. C'est encore loin l'Egypte, les tempêtes d'hiver commencent à se manifester, le froid ne va pas tarder, et si je descendais tranquillement vers le sud tunisien ?... La côte est de la Sicile est intéressante, Malte, quelques îles italiennes devant les côtes tunisiennes à découvrir... Puis les tunisiens sont charmants et parlent français. Alors je me décide. Je rejoins un voilier amarré le long d'une barge au fond du port, c'est le seul, un autrichien l'habite. Il est collé là depuis trois jours et attend la fin du vent pour repartir. Il a construit son bateau en acier lui-même et vit dessus 6 mois par an... 12m; c'est un vrai appartement !... Il me donne les cartes de la côte Est sicilienne dont il n'a plus besoin, je lui donne les fichiers météo, les coordonnées internet des cartes marines à télécharger gratuitement sans piratage (Open CPN), tout le monde est content... Le lendemain au petit jour je partirai pour Naxos.

Mardi 16 novembre 2010

Naxos s'est avéré être un endroit sympa: un port naturel, c’est pour cela que les grecs y ont fondé une colonie; une simple jetée qui prolonge des rochers posés là par le volcan, l'Etna que je contemple par la fenêtre chaque fois que je lève les yeux. Grâce à ma dérive relevable, je me suis trouvé une place sur un petit ponton au milieu des barques de pécheurs, au ras des rochers. Là se trouve le grand avantage des petits voiliers à faible tirant d'eau (45cm de profondeur), je me case n'importe où parmi les locaux qui sont toujours sympas et étonnés de voir ce navigateur solitaire hors saison !... Et je ne paie rien ... Petit repas de spécialités locales arrosées de vino del etna dans ce cadre fabuleux, pas belle la vie ?... Cela rembourse des frayeurs, ballotages et autres inconforts endurés à d'autres moments. Deux jours à Naxos, j'en profite pour réparer le réservoir d'eau, le robinet et l'écoulement du lavabo car l'hiver approche et c'est quand même plus commode de faire sa toilette à l'intérieur ainsi que la vaisselle... Cela marche, mais attendons quelques jours voir s'il n'y a pas de fuites après une navigation musclée !...

Mercredi 17 novembre

Par un beau matin ensoleillé, je pars vers le sud, jusqu'où le vent me poussera... Après une bonne bordée, il s'arrête; c'est l'heure du repas et de la sieste. Mer d'huile. Je passe Riposto, port bien abrité de tous vents, mais le vent est bon et j'ai envie de continuer. Mauvaise décision, le vent tourne, je m'abrite dans un petit port mal protégé dans lequel entre la houle et chahute dangereusement le bateau. Je suis inquiet car si cela enfle cette nuit, je serai en bien mauvaise posture!... Retour donc à Riposto, j'aurai fait 10 milles pour rien et cette fois le jour tombe, il est 5h et je suis fatigué. Je trouve un petit trou dans la marina pour y passer la nuit le cœur tranquille... Le lendemain, pas un brin d'air, je passe la journée en balade, recherche de connexion internet (3h...quand je vous dis que ce n’est pas facile!.. vous avez intérêt à me lire attentivement, car je souffre pour envoyer ce petit journal; et accusé de réception SVP...). Lecture; Toto m'a offert un livre providentiel: "l'Etrusque" de Mika Waltari. C'est un roman historique qui se passe dans l'antiquité méditerranéenne parmi les navigateurs, pirates, colons et marchands de l'époque et qui pour une bonne part a pour cadre la Sicile. On voit que la navigation n'était pas facile à cette époque... La méditerranée toujours aussi instable et imprévisible, pas de moteur, mais des rames!... Et la météo, c'est au temple qu'on la prenait!...

Par un sale matin froid et humide, je pars cette fois toujours vers le sud car la météo promet du vent. Pas tout à fait comme je voudrai, un peu de face, mais on verra. En fait, beaucoup de moteur car le bon vent ne se décide pas; Mais à dix heures, ça y est, pleine face juste au détour du cap à six miles de Catane ... impossible d'avancer, je trouve refuge dans un petit port bien abrité juste sur le cap. En fait c'est bien mieux que Catane: magnifique décors naturel de colonnes de basalte se dressant sur la mer, c'est l'endroit où Ulysse aurait tué le cyclope pour sauver ses compagnons!...

Fin d'après-midi, un petit "hello" vient du quai... Un couple sympathique, Graziella et Alessandro entament la conversation: il a le même bateau que le mien, un Challenger horizon. On est donc de la même famille!... De plus, son bateau est à Lampedusa, une petite île italienne la plus au sud du sud, face à la Tunisie, que je me proposais de visiter cet hiver. Ils y tiennent une petite boutique six mois par an. La description est fort alléchante!... Contacts, on en reparlera plus tard!...

Jeudi 18 novembre

Les premières lueurs de l'aube à l'horizon et j'appareille pour profiter au maximum du vent et traverser la baie de Catane; Vers midi, la météo prévoit qu'il sera de face... Direction Syracuse!... 31 miles. Première partie de la route excellente: vent debout, barre bloquée, voiles bien réglées, vitesse six nœuds, je reste dans la cabine car il fait froid dehors et je jouis enfin des transformations effectuées à Balestrate chez Toto. Sans sortir, je me lève, regarde tout autour par les nouveaux hublots, vérifie la direction.... Un vrai bateau de croisière!... Il faudra encore que je déplace le pilote automatique près de la porte afin qu'il ne soit plus déréglé par le moteur en marche et je pourrai piloter de l'intérieur !... A midi, la météo ne s'était pas trompée, le vent vire de face. Je ne suis pas pressé, tire un large bord pendant que je fais la cuisine, mange et pour la sieste, je reprends un autre bord en direction de Syracuse. Il faudra quand même un peu de moteur pour les derniers miles, car je n'aime pas arriver de nuit dans un port inconnu. Après quelques recherches, je trouve une petite place tout au fond du port. Ce n'est pas très propre, un peu insalubre même quand un homme m'interpelle et m'invite à prendre une meilleure place dans le port privé d'une société de voile dont il est le président... Très gentil, avec en plus la clé des douches et de la porte d'entrée... Cela fait au moins cinq jours que je n'ai pas pris de douche, quel régal !... Merci monsieur le président. Le soir, petit tour dans la vieille ville de Syracuse, quelle merveille !... Quelle classe !...

Samedi 20 novembre

J'ai sorti le petit vélo pliable car j'en aurai pour quelques jours à Syracuse. L'ancienne ville est magnifique et plonge ses racines dans 5000 ans d'histoire !... Dédalle de petites rues où l'on aime se perdre, impasses, palais, temples anciens, boutiques de luxe, Syracuse est imprégnée de raffinement jusqu'au belles Siciliennes qui passent dans les rues. C'est une ville sur la mer. Bâtie sur une presqu'île rocheuse, elle est entourée d'eau et on y accède par deux ponts. Un peu plus loin, Néopolis, le parc antique où l'on visite théâtre grec, arène romaine, et l'impressionnante "oreille de Dyonisius", vaste cavité naturelle de 30m de haut qui entre dans la terre en décrivant un couloir sinueux ayant la forme d'un gigantesque conduit auditif se terminant au tympan. "Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt" et comme je suis le premier visiteur, j'ai le privilège d'y être seul pour apprécier l'acoustique exceptionnelle de ce lieu mythologique. Un chat, sans doute le maître des lieux, vient se frotter contre moi puis exécute un concert de miaulements qui se réverbèrent majestueusement contre les parois de la caverne. Magique !... Puis le premier groupe de touriste, guide en tête, arrivent dans la cacophonie habituelle: comment pourraient-ils apprécier ce que je viens de vivre dans le silence ?... Le lendemain, une longue visite dans le grand musée archéologique donnera un peu de relief à la dimension temporelle de notre petite existence humaine; des milliers d'années d'activités humaines sont inscrites dans les objets collectés, répertoriés et décryptés par les archéologues et offerts à notre méditation.... Des empires naissent et disparaissent.... Et moi et moi et moi....

Dimanche 21

La météo n'est pas excellente pour moi, mais je ne peux abuser de l'hospitalité de mes hôtes. En fait il fait un soleil superbe, mais pas de vent ou de face!... Je me réfugie dans un mini port naturel à peine indiqué sur la carte mais grâce à mon faible tirant d'eau j'y entre et trouve une place pour la nuit. Tôt le lendemain, avant le lever du jour, j'appareille pour les 20 milles qui me séparent de Marzamemi, dernier port avant le cap sud-est de la Sicile, Cap sur Malte.

Lundi 22

L'arrivée s'est faite en luttant contre le vent qui s'est levé depuis une heure... Un peu de galère, juste pour rappeler que la mer c'est la mer !... A la marina on m'annonce le tarif: 20€ la nuit!... en plein hiver!... Je ne peux pas. Le gardien compatissant m'indique un petit port de pécheurs juste à côté et là je trouve une petite place aimablement mise à ma disposition... Il faut dire qu'un français, navigateur solitaire sur un tout petit voilier à cette époque de l'année n'est pas un touriste ordinaire mais un aventurier qui inspire un peu de respect peut-être et une certaine admiration (ou compassion ?…). Le lendemain d'ailleurs, un couple de cultivateur du coin ayant un petit voilier à côté du mien m'offrira un énorme sac d'oranges. Merci. La météo n'est pas favorable. Un terrible vent d'ouest, le maestrale soufflera pendant plusieurs jours, et derrière le cap, c'est une grosse mer et un vent de face qui m'attendent pour aller sur Malte. Avec mon petit bateau qui remonte mal au vent, c'est peine perdue. Je téléphone à Andrew Hopper, ce singulier navigateur anglais sur mini-catamaran de 6m30 croisé en Tunisie. Il est à Malte depuis un mois et me déconseille de partir maintenant, le vent est encore plus fort là-bas!... Il m'a trouvé une place gratuite et je pense faire un bon séjour là-bas. L'hiver s'installe, il fait 15 à 20° et j'ai moins envie de bouger. Le soir, je capte les radios françaises sur GO et j'entends que la neige commence à tomber là-bas... Je mets ces quelques jours à profit pour peaufiner l'installation du pilote automatique près de la cabine, faire quelques bricolages en attente depuis longtemps et faire des réserves de vin chez un sympathique viticulteur du coin qui tient boutique dans le port; excellent rouge à 1,50€ le litre en vrac, réserves d'hiver pour la Tunisie... De plus, il me permet de voir la météo marine sur son ordi, départ prévu le jeudi 25 avant le lever du jour, 54 miles à parcourir avec un vent faiblissant en fin de journée. Je ne tiens pas à faire trop de moteur!...

Jeudi 25 novembre

Arrivée à Malte après une bien pénible traversée... Parti à 3h du matin pour profiter des vents annoncés par la météo, rien ou presque!... Donc moteur pour appuyer les voiles, 10 miles en 4h. La honte!... Je me demande si je ne vais pas revenir sur la côte sicilienne car Malte est encore à plus de 40 miles et mon petit moteur de 4cv n'est pas étudié pour. Puis le vent se lève après une bonne averse. Est-ce un vrai vent ou un vent de grain qui ne dure que le temps du passage du nuage?... Cela dure... Je dois même réduire la toile mais j'avance raisonnablement contre la vague. Deux heures plus tard, encouragé par ce bon résultat, je décide de remonter le moteur pour gagner un peu de vitesse. En même temps j'attrape un poisson; cela faisait bien longtemps que je n'avais pas d'invité au repas. Désolé mais je le garde à bord... Toutes ces activités terminées, le vent faiblit !... Je remets de la voile mais rien n'y fait: il ne subsiste qu'une légère brise. Redescente du moteur, mise en marche, cette fois plus le choix, je suis presque à mi-chemin et cette fois la mer est agitée, sans voile le bateau est secoué comme ce n’est pas permis, avec la voile il se stabilise un peu, mais elle claque à vous fendre le cœur (c'est comme cela que j'ai ouvert mon ancienne voile sur 90cm en corse...) Il faut donc mettre un peu de moteur. Pendant ce temps, les averses se succèdent et je suis ravi d'expérimenter mes nouveaux bricolages de pilote automatique près de la porte de la cabine à moitié fermée pour éviter la pluie en laissant toutefois la main passer pour parer aux éventuelles défections du pilote qui ne manquent pas d'arriver!... Pendant que le poisson cuit dans la poêle au milieu de ce remue-ménage. On s'ennuie sur un bateau?... En tous cas, je suis au sec par mauvais temps et un peu fier de mes améliorations... Néanmoins le vent ne reprendra jamais de vigueur et le ronronnement du moteur m'accompagne jusqu'à Malte. Au lieu de râler de ce bruit, je choisi de me réjouir d'avoir un aussi bon petit moteur qui fonctionne et me propulse autour des 5 nœuds... Pas si mal!... Terre en vue!... Toujours la même magie, les mêmes rêves qui surgissent de l'inconscient: là-bas peut-être le paradis ?... Mais non mon vieux, c'est ici et maintenant le Réel. Et le paradis c'est de l'accepter tel qu'il se présente d'instant en instant !... Après toutes ces années d'étude et de méditation dans les forêts reculées d’Asie tu te fais encore piéger!... Il faut bien dire que le programme s'exprime en quelques mots, mais l'application elle!....

J'arrive quand même à Malte après avoir subi l'effet bien connu des marins de l'île qui recule au fur et à mesure que l'on avance ?... Tu l'aperçois à l'horizon, à portée de main, et six heures plus tard tu n'y es toujours pas... Puis tu vois l'entrée du port au coucher du soleil mais tu n'y arrive que quand il fait noir, ce que tu voulais éviter à tout prix!... Une fois de plus c'est ce qui s'est passé. Mais même de nuit l'entrée dans le port de La Valette est majestueuse. Ses vieux remparts, ses fortins, ses châteaux, ses vieilles pierres empilées par les templiers, quel ressenti!... Je me suis senti privilégié de manger mon poisson arrosé d'un petit vin blanc en écoutant radio classique Malte dans ces lieux imbibés d'histoire... et le flash météo annonçant les premières neiges en France alors que mon thermomètre affiche 17° ce soir!...

Vendredi 26 novembre

Le jour se lève sur le Grand Port où la nuit fut très tranquille. Magnifique, le cœur de cette cité historique!... On comprend qu'il a toujours été un haut lieu stratégique, au cœur de la méditerranée, entre Rome et Carthage, l’Europe et l’Afrique. C'est un véritable port naturel à nombreuses ramification où une flotte armée peut se protéger de tous temps. SMS à Andrew qui m'attend au point de rendez-vous. Il m'indique une place où je peux rester sans payer (dans la marina, c'est 19€ la nuit...). Heureuses retrouvailles; on s'est à peine rencontré à Bizerte, quelques heures seulement, je l'ai aidé pour ses formalités avec les douaniers, pris en photo sur son étrange catamaran Wahren, envoyé les photos par mail, mais la sympathie est là, on se retrouve comme de vieux amis?.... Je pense que je vais faire une longue halte à Malte...

Lundi 6 décembre 2010.

Dix jours que je n'ai pas écris... Quelques travaux sur le bateau, ici à Malte toutes les boutiques nautiques sont dans le même quartier et l'on trouve vraiment tout... C'est une île et le maltais a un bateau!... J'ai donc acheté un nouveau réservoir d'eau potable, l'ancien bricolé n'avait vraiment pas tenu le choc: après 28 ans, les plastiques même de bonne qualité sont hors d'usage. J'ai donc maintenant l'eau au robinet et le lavabo fonctionne. Quelques étagères pour ranger les épices et ustensiles de cuisine simplifient la vie. Ce n'est pas suffisant pour donner le bonheur mais ce n'est pas négligeable!... Avant-hier j'ai quitté le port de Malte. La place n'était pas si mauvaise, mais un peu agitée par le passage des nombreux bateaux de croisière touristique qui soulèvent de belles vagues à chaque fois... Et juste sur la croisette alors, beaucoup de sourires sympathiques, de gens qui trouvent cela romantique mais de 5h du matin avec les pécheurs à la ligne et les joggeurs jusqu'à minuit, cela manque un peu d'intimité pour un ermite habitué à la solitude!... Plusieurs fois j'ai sorti mon vélo, me félicitant chaque fois pour cet achat de dernière minute qui me permet si facilement de visiter les lieux de manière totalement indépendante et de faire un bon exercice physique. Mais il n'y a pas de pistes cyclables et les maltais roulent à gauche et parfois un peu vite!... et toujours en ville. En suivant les panneaux, je me suis trouvé plus d'une fois sur des voies rapides, pas trop fier de moi!... Ce serais trop bête de se faire renverser par une voiture ou un bus après toutes les tempêtes essuyées en mer. Et puis la ville, un peu, ça va mais trop cela me déprime!... Besoin de nature, de contact vrai avec la terre-mère, les éléments... Alors, dimanche j'ai mis les voiles, je suis parti faire un petit tour en mer et ne suis pas revenu!... Un peu au sud, découverte d'une belle côte de falaises blanches et dans une jolie baie, le petit port de Marsaxlokk... Ça c'est du maltais, ça s'écrit comme cela se prononce!... L'entrée est repoussante: le terminal des porte-containers géants qui viennent de chine et d'ailleurs et des plates-formes pétrolières face à une énorme cheminée crachant de la fumée!... Mais j'ai persévéré (il était tard) heureusement!... Un charmant petit port avec les petites barques de pèche typiquement maltaises peintes avec amour de couleurs franches et vives, la proue fièrement dressée; je n'en ai jamais vue d'aussi belles!... Et une place gratuite, tout le monde me fait des sourires... Hier, quatre heures de vélo par monts et par vaux dans la campagne... Les champs-jardins entourés de murs de pierre taillée, de cette belle couleur jaune sable, la même employée par les chevaliers pour construire leurs remparts et bastions. Quelle beauté!... Et soudain une petite ville, propre, nette, petites ruelles enchevêtrées, médina. On sent ici la présence arabe pendant de nombreux siècles: presque la moitié de la langue est empruntée à l'arabe. Et au centre, la basilique. Les maltais sont très chrétiens et pratiquants. L'autre dimanche, j'étais surpris de voir l'église bondée pour une messe on ne peut plus normale, dans le quartier à la mode de la valette. Et beaucoup de jeunes!... Après avoir gravi péniblement une longue côte, changement de décors: Zone industrielle et l'ancien aérodrome désaffecté... en tout cas affecté à un autre usage: c'est là que l'on entasse dans des cabanes en tôle entourés de barbelés, les noirs qui se sont échappés d’Afrique pour goûter au rêve européen!.... Bienvenue chez le blanc mon frère!... Un trou béant dans le grillage témoigne que l'on peut sortir clandestinement de ce ghetto; c'est pour cela que j'en ai croisé quelques-uns dans la montée. De toute manière ils n'iront pas très loin et rentreront le soir à la maison. J'ai quand même vu pas mal de voitures de police patrouiller dans la région, je commence à comprendre!... Il ne fait pas bon être né la peau noire dans ce monde!... Le soir je capte sur les grandes ondes quelques radios françaises... Cela fait du bien d'entendre sa langue maternelle... Les infos, toujours les mêmes histoires a quelques nuances près... Un peu lassant quand même et déprimant!... La météo: neige, verglas... Ici, 26° en milieu de journée, 19° la nuit. L'autre jour, un vent d'ouest a fait chuter la température à 14°. Tout le monde s'est empressé d'enfiler les manteaux d'hiver, les bottes et les bonnets de laine: sinon, quand les utiliser?...

Mardi 7

Un allemand sympathique me voit sur mon bateau et me fait un sourire. Très romantiche... Et madame? à l'intérieur?... Non, pas de madame, tout seul!... Alors là, son sourire s'élargit et devient radieux. Il l'accompagne d'un pouce levé vers le ciel: alors, la liberté!... Ja, ja sehr gut, moi aussi j'espère faire cela dans deux ans, à la retraite... C'est vrai, je voyage seul. Sans regret, je vis seul aussi, bienheureux; une vieille habitude. J'ai bien essayé la vie de couple, à plusieurs reprises... Au début, c'est super, tout va pour le mieux, la vie est belle, le monde fantastique et l'on pense exactement la même chose au même moment. C'est l'état amoureux qui dure... un certain temps.... Puis ça se complique, on discute, on fait des concessions, des marchandages... et tout se complique, on s'explique, on fait la guerre, on fait la paix, on se fait des cadeaux.... Tout recommence comme avant, enfin presque.... Non, franchement, cela ne me dit rien de recommencer une fois encore. Ce n’est pas que ça manque de belles filles, au contraire... Mais je m'entends bien avec moi-même et c'est déjà pas mal!... Je suis marié avec la Liberté, c'est ma meilleure compagne. Et j'aime le silence par-dessus tout, pas juste le silence extérieur, mais le Silence intérieur, la paix de l'âme, la communion avec l'âme universelle, le cosmos. Alors avec une femme (avec un homme non plus pour ceux qui se poseraient la question) !... Un peu, ça va, mais je sature assez vite; j'aime la compagnie mais pas trop longtemps. La solitude me manque vite. Alors, navigateur solitaire ça me va très bien!... J'ai souvent dans l'idée de faire une grande navigation, sans escale, juste la mer à n'en plus finir!... pendant des jours, des nuits, des semaines... Mais avec un bateau un peu mieux adapté... Peut-être un jour!... En fait, le danger, ce n'est pas la mer, c'est la terre!... Tous les navigateurs expérimentés vous le diront. Toutes les galères que j'ai connues, c'est en approchant la terre, parfois un peu trop brutalement!... C'est une fausse idée que l'on se fait et que je me suis faite au début, de croire que la sécurité c'est à terre. Les accidents, c'est à terre. En mer, un bateau est fait pour flotter et avancer. Eviter quand même les cyclones!... Et les trop fortes tempêtes, mais de nos jours, les météos sont fiables... Alors!... Cette magie de la mer me reprend chaque fois que je suis au large; je n'ai plus envie de rentrer. Cet après-midi encore, je suis allé faire un petit tour... Oh là là, trop heureux. J'ai sorti le GPS, l'île de Pantelleria, 139 milles nord-ouest. On y va? Non, ce n’est pas le bon vent, puis j'ai encore des choses à voir à Malte!...

Obligé d'allumer mon téléphone pour trouver la date, jeudi 9 décembre 2010 après J.C. Hier, en arrivant à Valette, le port principal de Malte où j'étais basé pendant 10 jours, j'ai vu dans le lointain la silhouette caractéristique et inhabituelle d'un trimaran. En entrant dans le port, occupé à faire mes manœuvres de mise à quai, je l'ai vu passer près de moi, j'ai vu son drapeau national à l'arrière, non-identifié, bleu et jaune?... Ensuite, l'ayant vu tourner dans la rade de manière aléatoire, je lui ai fait signe d'approcher et lui ai indiqué une place près de moi, lui disant que c'était sans problème, gratuit. Un autre navigateur solitaire venant d'Ukraine sur son trimaran historique des années 75, l'époque de Tabarly, prototype américain de transat solo. Une fois à quai, Alexeï me serre la main, je dirai plutôt me la Broye, car il est athlétique, musclé et bronzé, et nous sympathisons tout de suite. Il me raconte l'histoire incroyable de son bateau, récupéré par la flotte de l'URRS après abandon durant la transat après retournement du navire..... Et depuis 5 ans il en est le propriétaire, vit sur la mer et ne rentrera pas en Ukraine, écœuré par la lourdeur bureaucratique de son pays. Ce matin, visite du bateau, brut de brut, bateau de course, sans confort inutile, sobre, ascétique. Sur ce, surgit Andrew, même type de marin insolite qui écume les mers du globe. Qu'il est bon de se retrouver entre hommes libres!... Alexeï nous montre les pièces d'accastillage de grande marque, achetées fort cher il y a un an... déjà cassées, alors que celles d'origine il y a 36 ans, encore intactes!... Made in china!... La qualité et le savoir-faire se perdent, on va le regretter!... Mais ainsi va le monde.... Hier encore, j'étais au fond d'une anse minuscule, idyllique, inaccessible par la terre au sud de Malte. Je plonge, quelques brasses pour marcher sur la plage inviolable et apparemment éternelle, pour trouver quoi?... Des amoncellements de bouteilles et de bidons plastiques, de cordes de nylon et autres rebuts de notre société matérialiste...Sûr qu'Ulysse n'a jamais vu cela!... Plastic is fantastic!... Quelle planète allons-nous laisser aux enfants que je n'ai pas?...

Vendredi 17 décembre 2010 Cela fait un moment que je n'ai pas écrit, à part quelques mails.... Alors au lieu de faire des mots croisés pour passer le temps, je fais des mots en ligne en essayant de leur donner du sens!... La température a brutalement chuté depuis quelques jours: 12° au lieu de 20 à 26°. J'écris maintenant à l'intérieur du bateau anorak, chaussures, chaussettes!... Le soir, je rentre dans des draps froids et humides et il faut attendre dix minutes pour que le corps réchauffe tout cela. La cabine est toute petite, comme un sarcophage, elle se réchauffe avec le corps, par contre le plafond se charge d'humidité et des gouttelettes tombent ici et là. Fini de rêver aux bleus lagons tropicaux!... Changement de programme, on pense plus aux sports de l'extrême où prévaut l'endurance, la ténacité... Il faut chercher au fond de soi des raisons pour surmonter l'inconfort. Alors je me rappelle du récit de ce gars qui a fait le tour du cercle polaire à pied pendant la longue nuit arctique, seul en tirant traineau, tente, nourriture et tout le nécessaire pendant des mois, parfois contre le blizzard!... Je suis quand même mieux loti... Et ces SDF qui luttent contre le cauchemar... Et je rêve à une petite chambre chauffée avec douche pendant que le bateau dans un mouvement ininterrompu vas et vient sur ses amarres. Hier, un passant bienveillant m'a averti que quand le vent du nord-est se lève, les vagues entrent dans le port et détruisent tout sur leur passage, même les boutiques de l'autre côté de la rue!... Mais c'est assez rare, la dernière fois il y a trois ans... Là-dessus j'ai eu de beaux rêves cette nuit. Alors j'aime mieux vous dire que je regarde attentivement la météo. Je note également que le moral à tendance à baisser face à l'adversité et aux conditions extérieures difficiles, mais ce n'est pas une grande découverte!... Alors il faut développer de nouvelles stratégies pour surmonter. Ce matin je pensais sortir le bateau pour aller à Gozo, l'île voisine qui serai ma prochaine étape... Petite marche de cinq minutes pour voir l'état de la mer; oublie mon vieux!... mer moutonneuse, vent trop fort pour le remonter, il fait froid alors inutile de se faire souffrir pour rien. Elle n'est pas bien loin, dix milles seulement, mais pas dans ces conditions avec mon bateau dont je connais les limites. Et là aussi se trouvent les limites de ma petite liberté: on ne fait pas ce que l'on veut, comme on veut et quand on veut!... Mais cela je le savais déjà, piqûre de rappel!... De plus, averses intermittentes alors j'hiverne... une petite heure de méditation formelle, jambes croisées, bien enveloppé dans une couverture à observer et calmer le mental... Puis préparation du repas qui a l'avantage de réchauffer la cabine pendant que les aliments cuisent... Ensuite on verra si l'on peut marauder quelques rayons de soleil avant qu'une autre longue nuit d'hiver ne commence...

Dimanche 19...

Hier j'ai mis mon vélo plié dans un bus pour aller à l'île voisine de Gozo par le ferry. En arrivant à l'embarcadère, on a vu le ferry arriver en sautant sur des vagues spectaculaires... Heureusement que je n'y suis pas allé avec mon petit voilier. J'ai pu voir de près ce qu'était une mer déchainée par un vent de force 6 à 7: il vaut mieux être chez soi!... Il était déjà midi, j'ai préféré rentre tranquillement à vélo en visitant cette partie de côte que je ne connaissais pas. Très belle journée, malgré le froid. Depuis quelques jours, je me suis fait un ami au Dick's bar, moi qui ne rentre pratiquement jamais dans un bar et j'ai été bien inspiré ce jour-là. C'est Phil, un anglais qui vit à Malte depuis 11 ans et qui a bourlingué depuis l'âge de 17 ans... Il a la cinquantaine aujourd'hui. Ce matin il a amené sa copine Nico, une jeune et jolie chinoise et nous avons fait un tour en bateau. Le vent s'est enfin calmé et le soleil brillait. Cela faisait 10 ans qu'il n'était pas monté sur un voilier et pour elle c'était un baptême. Ils ont adoré. La veille je lui avais dit que j'étais mûr pour vendre mon bateau tellement j'en avais marre : le froid, l'humidité, les longues nuits, la météo tempétueuse... Il avait montré un certain intérêt pour l'acquérir, et pendant la nuit, je m'étais préparé à l'idée de m'en séparer, avec joie!... Et partir terminer l'hiver en Thaïlande, faire une bonne retraite de méditation. Mais il a changé d'avis!.... Bon, je continuerai à assumer mon Karma et à développer ma méditation sur l'acceptation des évènements avec équanimité, selon les recommandations de mon maître de méditation. Pour ceux qui l'ignorent, équanimité signifie "d'humeur égale" face aux évènements, le froid, le chaud, la joie, la tristesse bref, toutes les paires d'opposés que l'on rencontre dans la vie!... Vaste programme... "Si vous demeurez dans l’équanimité, vous êtes sur la bonne voie!..." se plaisait-il à répéter.

Lundi 20 décembre.

La température s'est radoucie et le vent qui soufflait d'ouest depuis 2 semaines se décide enfin à tourner dans les jours qui viennent. Mon séjour à Malte va bientôt prendre fin après presque un mois car il faut absolument profiter de cette petite fourchette de quelques heures pour avancer vers l'ouest!... J'ai plusieurs destinations possibles selon la carte des vents, si je peux, j'irai à Lampédusa, entre malte et la Tunisie. Noël sera probablement sous la pluie et le vent d'ouest aura repris le dessus. Aujourd'hui, j'ai encore fait une énorme balade à vélo, soleil, peu de vent, de la nature et même une séance de yoga, seul, nu dans l'herbe au pied d'un olivier. Il est dur de rester équanime!... Bien sûr, en revenant, c'était le trafic, les camions, les klaxons, la fumée d'échappement etc... Pour rejoindre mon bateau à quai depuis une semaine dans le quartier branché, face aux petits restaurants style st Tropez!... Et tout cela sans payer, personne ne me demande rien et je ne récolte que des sourires!... On ne peut pas se plaindre quand même. En été je ne pense pas que ce soit le même traitement!...

Mardi 21 décembre 2010

Départ prévu cette nuit vers 3h, pour profiter au maximum de la fenêtre météo. Lampédusa est à une centaine de milles nautiques d'ici, j'ai des chances d'y arriver avant la nuit... C'est une ile italienne, j'aurai peut-être du mal à envoyer des mails?... J'ai une boule qui se forme au creux de l'estomac: c'est la peur qui monte, une sorte de trac comme les artistes avant de monter en scène?... La météo est bonne, je l'ai vérifié plusieurs fois, mais c'est incontrôlable... C'est peut-être l'accumulation des stress passé dans des conditions difficiles qui remonte d'un coin de l'inconscient?... J'en parle à Phil qui vient manger ce soir à bord avec Nico pour les adieux. C'est un sportif, rugbyman; c'est normal dit-il ne t'en fait pas, on a tous vérifié la météo... C'est même salutaire, tu feras plus attention.

25 décembre Départ à 2h du matin. Je ne dors pas, à quoi bon attendre en se retournant dans le lit?... Adieu le petit quai de l'anse St Julien qui m'héberge depuis une semaine, adieu Malte... bien contourner un écueil à la sortie du port, une petite brise, mais je garde le moteur à bas régime pour soutenir la voile... C'est le côté de l'ile sous le vent, je vais passer entre l'aire de stationnement des gros cargos et la côte. 7 miles à parcourir avant de bifurquer entre les iles puis ensuite prendre le large. Pleine lune, le Grand Réverbère éclaire la surface de l'eau. J'approche les cargos tout illuminés, ceux que l'on n'aime pas croiser en pleine mer par une nuit sans lune: effectivement, une grosse masse ainsi lancée à 15 nÅ“uds broierait n'importe quel voilier s'en même s'en rendre compte!... Soudain, à bâbord une masse noire se détache au raz de l'eau?... Pas loin du tout!... C'est une énorme nasse de ferme marine dont le feu de signalisation est tombé en panne. Je le vois juste à mon tribord arrière, je l'ai passé de quelques mètres à peine!.... Si tu t'empêtre dans la nasse, mauvais, mauvais... ce sont d'énormes filets bien solides et à l'intérieur, des centaines de thons rouges carnassiers mesurant jusqu'à deux mètres ou plus, attendant d'être vendus aux cargos japonais et qui ne doivent pas être très contents d'être ainsi séquestrés!... Et si tu t'en sors, ce sont les propriétaires qui te font la peau car il y en a pour des millions d'euros de marchandise!.... Bon... J'attends le point de bifurcation entre les deux îles et là, contrairement à mon attente, pétole, plus de vent. Une heure de moteur plus loin et après avoir passé le ferry qui fait la navette entre les îles, je touche enfin le vent du large!... Stop moteur, on navigue enfin...Coup d'Å“il à l'horizon, pas une lumière, pas un bateau, détente, relâche, on peut se faire un petit café. Il m'aura fallu plus de deux heures pour prendre le vrai cap sur Lampedusa qui affiche 90 milles au GPS. Vent du sud, parfait, lever de soleil, bonne allure stable, vitesse 5 nÅ“uds. Heureusement que je n'ai pas vendu le bateau, cette navigation est superbe. Mais où donc est la peur qui me prenait hier et cette nuit?... La peur est comme une marionnette, lorsque tu la déshabille, tu y découvre ta propre main ! Curieux de constater comment certains états mentaux peuvent envahir l'esprit et le submerger sans raison concrète!... Le vent est bien stable et régulier, quinze nÅ“uds environ qui ne soulève qu'une faible houle venant par le travers... Caprice monte et descend tranquillement sur les vagues... je peux même mettre le pilote automatique en stand-by pour économiser de l'énergie. En fait il navigue mieux ainsi, les voiles bien réglées et ne s'écartera de sa route que trois ou quatre fois dans la journée. Le soleil a dissipé le voile nuageux du matin mais il ne fait pas assez chaud pour quitter ma veste de marin... Comme je l'aime celle-là: achetée à Ibiza juste avant la transatlantique il y a deux ans, c'est la première fois de ma vie que je m'achète un costume, mais celui-là il m'aura bien servi et protégé des grains et intempéries!... C'est la véritable seconde peau du marin... La route est plus longue que prévu: le soleil se couche, je n'ai toujours pas aperçu les côtes de Lampedusa ni de Lipari, la petite île voisine qui devrait se trouver un peu avant su la droite!... Je refais le point GPS, pas d'erreur! Mais lorsque survient l'obscurité, je vois un phare scintiller dans le lointain. Ouf!...Une heure plus tard, la lune se lève en poupe, c'est sublime!... La température est douce, les étoiles brillent, il me reste encore 6h de navigation, et si je me servais un petit whisky?... Le vent se renforce, la vitesse aussi, je contourne l'île et recherche les feux vert et rouge de l'entrée du port qui se mêlent aux lumières de la ville... Oh que je n'aime pas cela, arrivée à toute vitesse dans un port inconnu!... Un avion me passe au raz du mat dans un vacarme étourdissant, l'aéroport est juste à côté du port. J'affale les voiles, démarre le moteur et écarquille les yeux dans le noir pour deviner l'éclat des vagues qui se brisent sur les rochers à l'entrée du port!... Finalement une masse d'eau calme se devine dans le reflet des réverbères, je passe le môle, cherche une place dans le noir et là, de grands cris!... un pécheur sur une barque sans feux me fait signe que je vais droit sur ses filets!... C'est le comble; se prendre dans un filet de pêche, bloquer l'hélice et dériver impuissant sur les autres bateaux... La hantise des navigateurs!... Il y a un mois, j'ai rencontré un français qui a failli perdre son voilier en sortant d'un port tunisien et en s'empêtrant dans des filets, illégaux évidemment!... Il n'avait pas encore terminé de payer les crédits de son bateau!...

Dimanche 26 décembre 2010

Lampedusa est plus petite que Malte, 10km de long, 2,5 de large. J'en ai presque fait le tour hier à vélo!... Je vais rester encore un petit moment, dépend de la météo. Puis je continuerai vers la Tunisie... Hier, en cherchant un point wifi pour la connexion internet et la météo si fondamentale, j'atterris dans le hall d'un hôtel. Là, bonne fortune, je tombe sur l'équipage de l'hélicoptère d'urgence de l'île qui m'invite à partager le repas de Noël avec la famille du patron de l'hôtel où ils dorment pendant leur semaine de service... 30 personnes à table, bonne bouffe, bon vin, bonne ambiance... Ils sont tous fascinés par mon expérience de navigation solitaire sur un aussi petit bateau!... Cela m'étonne car pour moi ç'est du quotidien... "tu devrais écrire un bouquin!" me disent-t ‘ils en anglais, car c'est dans cette langue que nous échangeons, ma connaissance de l'italien étant si faible qu'elle tourne toujours à l'espagnol et ne va jamais plus loin que quelques mots... On verra!... Après tout, un bouquin c'est comme une peinture, il est fait de milliers de petites touches qui après bien du travail forment un tout cohérent et lisible. Peut-être que tous ces petits bouts de journal cousus en patchwork et harmonisés, formeront les chapitres d'un livre?....

Lundi 27 décembre 2010

La météo prise hier soir laisse entrevoir une fenêtre de vent du sud qui me permettra d'atteindre la Tunisie dans quelques jours... A suivre. En attendant, j'ai changé de place dans le port pour passer d'une place payante (10€ la nuit dont je n'ai finalement payé qu'une nuit sur les quatre vu que le gardien avait disparu pendant noël et étant dans l'impossibilité de lui rendre les clés et de partir, il m'a fait grâce des trois autres nuits, cadeau de noël!...) à une place gratuite et en plus protégée du vent qui a tourné entre temps. Temps très variable, averses surprises, rayons de soleil, coups de vent frais.... Je reste à bord aujourd'hui. Grâce à mon passé de yogi et de méditant, je ne m'ennuie jamais, sauf par distraction!... Si j'ai envie d'autre chose que la situation présente!... Je passe donc mon temps en posture assise, attentif aux sensations corporelles, aux mouvements du mental, aux humeurs vagabondes ou pas, aux sons etc... Puis de temps en temps, quelques postures de yoga pour détendre le corps et l'étirer. Celles-ci sont très limitées dans l'espace restreint de la cabine et il faut bien calculer son coup. Et passent ainsi les journées, tranquilles et sereines....

Jeudi 30 Décembre 2010

Le nouvel an se passera en Tunisie, ainsi en a décidé la météo. Une courte fenêtre s'ouvre avec un vent sud-ouest (plein sud aurait été parfait ou sud-est, mais il ne faut pas être trop exigeant...) et il faut en profiter en partant dans la nuit à 2h du matin pour espérer arriver avant la nuit à Madhia. 90 Milles nautiques, Mn, c'est faisable si tout va bien. Je gère la boule au ventre en l'ignorant et vers 1h du matin, café, vêtements de navigation chauds, appareillage et départ dans une nuit sans lune. Le vent est faible, c'était prévu par la météo, il se renforcera dans la journée. Obligé de mettre un peu de moteur pour soutenir la voile et s'éloigner de la côte rocheuse qui pourrait comporter quelques mauvaises surprises... 2h plus tard, toujours au moteur, le cap est doublé mais il y a encore la microscopique île de Lampione, la dernière de l'archipel Pélagie, avec son petit feu clignotant qui m'inquiète un peu car elle est 8 Mn tribord avant et il ne faudrait pas la caresser. Donc vigilance; il fait froid sur le pont mais le pilote automatique fait des siennes et le capitaine humain doit l'assister!... Brrr... Elle n'en finit pas d'approcher, comme toutes les îles, surtout la nuit; de plus des bateaux pêchent, il ne faut pas dormir. 2h plus tard, elle est enfin sur le côté, je peux rentrer dans la cabine et laisser le pilote délirer à son aise... En fait, je le coupe, bloque la barre, règle les voiles au mieux et avance ainsi dans la bonne direction en restant au chaud, peu importe la vitesse, je ne suis pas en compétition. Lorsque le bateau gîte à tribord (à droite...) c'est le côté le moins confortable: je dois me caler les pieds sur la banquette opposée, lutter sans arrêt pour garder l'équilibre et les muscles sont toujours en tension. Et comme il n'y a pas de virement de bord prévu aujourd'hui et que le vent va se renforcer au fur et à mesure, bonjour, bonne journée!... Le soleil se lève derrière, c'est beau comme d'habitude.... même s'il fait froid et que la position est inconfortable... Il y en a qui sont écrasés comme des sardines dans des bus ou des métros pour se rendre au boulot !... Ne fais pas ta chochotte, Paulo!... Au fil des heures le vent se renforce, comme prévu. Un poisson mord à la ligne, mais au moment où il est proche, il se détache. Tant mieux pour lui, tant pis pour moi... Je commençai déjà à saliver. Quelques heures plus tard, un autre accroche. Cette fois je ralenti l'allure et le ramène précautionneusement à bord. Gros comme ma cuisse, c'est mon record!... Une bonite comme d'habitude, mais je suis content. Je n'aurai pas le temps de le cuisiner car le vent se renforce encore, je dois le serrer de près sous peine de perdre mon cap et sous cette amure, la cuisine se trouve du mauvais côté, ça saute, bref, juste grignoter un quignon de pain avec une croûte de fromage sera mon repas du jour... Le vent continue de forcir... Il faut réduire la toile... Un peu acrobatique; pour la première fois j'ai mis mes nouvelles bottes achetées avec Toto en Sicile: elles accrochent bien au pont. Je dois monter au pied du mat pour fixer la 2nde bosse de ris... Là mon Paulo, il faut que tes idées soient claires, le geste précis et rapide, les sens en éveil car si tu tombes à l'eau, personne pour venir te chercher et ton Caprice 2 arrivera sans son capitaine sur les côtes tunisiennes!... Manœuvre impeccable, bravo moussaillon! Le bateau se redresse et garde pratiquement la même vitesse. Je croise quelques chalutiers Tunisiens, mais toujours pas de côtes en vue. Maintenant, autre manœuvre délicate et impérieuse: depuis ce matin, pressé par les différentes tâches, je n'ai pas eu le temps de répondre à l'appel de la nature!... Désormais, la nécessité se fait forte et incontournable. Les combinaisons de navigateur sont étudiées pour mettre le corps au sec, donc bien fermées par des fermetures éclair, protégées par des rabats avec bandes velcro... Le pantalon est une espèce de salopette à bretelles. Pour les petits besoins ce n'est pas très aisé, que dire lorsqu'il s'agit des grands!... Il faut tout retirer. Il n'y a pas de WC à bord, je ne l'avais pas encore dit. Dans les petites criques isolées en été, on se met les fesses à l'air par-dessus le tableau arrière et le tour est joué. Il ne reste plus qu'à observer les poissons se régaler avec voracité de ce que le corps rejette comme un surplus inutile: la boucle est bouclée, dans la nature rien ne se perd, rien ne se crée!... Dans les ports où il y a du monde ou en hiver quand il fait froid, on fait dans un seau à l'intérieur de la cabine... Mais dans les conditions actuelles de navigation, vous devinerez le problème que représente l'opération et les inconvénients qui résulteraient d'une fausse manœuvre!... Là encore, exercice impeccable réalisé avec maîtrise, bravo Paulo!...

TUNISIE POUR LA SECONDE FOIS L'après-midi avance, il est peu probable d’arriver au port avant la nuit. La poisse... Un port inconnu sous un mauvais vent dans un pays d’Afrique où les phares sont parfois en panne!... Enfin quelques immeubles sur la ligne d'horizon, mais il fera nuit quand j'y serai, c'est désormais certain. Peu à peu le jour décline, les lumières de la ville s'allument et parmi elles, un phare rouge clignote. Je pique droit dessus. Au bout d'une heure, en approchant, j'ai des doutes: il est bien proche et mon GPS indique encore 2 milles de distance. Maintenant je distingue nettement dans la nuit, une falaise sous le cap!... Ouah!... Coup de barre à gauche, c'était le phare du cap Afrique que j'avais pris pour l'entrée du port... Mais toujours pas les phares verts et rouge indiquant le port?... Les feux d'un bateau surgissent à ma droite; il n'est pas loin, quelques mètres seulement. C'est l’Afrique!... la lumière coûte cher.... Je le suis, il doit certainement rentrer au port. Ca y est, je vois enfin les lumières de l'entrée!... Et le bout de la jetée salvatrice devant moi. Heureusement, le vent s'est un peu calmé près de la côte; je ramène les voiles dans le noir et franchi l'entrée principale. J'ai bien étudié le plan du port, c'est à droite qu’il faut se diriger, passer deux autres phares et tâcher de se trouver une place au milieu de je ne sais où... On me fait de grands signes sur un quai, mais c'est exposé en plein vent. Je tourne un peu dans le port, mais c'est très mal éclairé. Finalement je choisi de m'échouer là où l'on m'a fait signe. En fait, c'est la police du port. Je leur demande avec fermeté de m'aider à accoster et à m'amarrer car je suis seul, au lieu de me regarder passivement les bras croisés... Je suis vanné. En marchant sur le quai, je titube car j'ai été secoué pendant une vingtaine d'heures et je leur explique le mal de terre!... On fait les papiers et ils me font grâce de la visite douanière, jusqu'à demain matin. Je peux enfin me faire à manger et dormir quoique secoué par le clapot du vent du sud qui soufflera toute la nuit. Ah, la plaisance!...

Vendredi 31 décembre 2010, dernier jour de l'année!...

Ce matin, c'est avec une curiosité d'enfant que je me lève pour contempler le décor des jours à venir. Bonne surprise: par la porte, je vois déjà l'arrière de mon voisin, un joli galion style XVIème siècle reconstitué pour promener les touristes en été. Plus loin, à sec, un magnifique trois mâts de la même époque dont la silhouette se détache sur l'aube naissante. Dans le port s'alignent les bateaux de pêche locaux en bois, peints amoureusement de couleurs vives se détachant sur le fond d'immeubles bas et blancs de la médina. Je succombe tout de suite au charme de Mahdia. Je suis bien mieux ici que dans une marina moderne; un peu moins de confort, certes, mais que de charme!... Et le prix, ce n'est pas négligeable non plus, 1€40 la nuit!... Les douaniers sont très aimables également. Ils montent à bord avec une certaine appréhension: le bateau est petit et il balance sous leur poids, mais la curiosité est trop forte et le chef, un peu corpulent, se contorsionne pour pénétrer dans la cabine et admirer l'intérieur. "Et la gazelle?..." C'est la femme dans les pays du Maghreb. Et bien non, je voyage seul. Etonnement sceptique comme d'habitude... chaque fois il faut se justifier lorsqu'on voyage seul, que dire si l’on n’a pas de femme et pas d'enfant!...

Nous sommes bien serrés à trois. Les formalités remplies, ils repartent en multipliant les "bienvenue en Tunisie" que j'entendrai maintes fois un peu partout. Il est encore tôt, il fait 7° ce matin, ma première hâte est d'aller au hammam, me laver enfin et prendre un bain de chaleur... J’y retournerai chaque jour, m’ébouillanterai comme une écrevisse pour accumuler dans la mémoire la chaleur qui me manque tant le reste du temps.

La nuit de la saint Sylvestre ne donne lieu à aucune festivité notable par ici. Je me suis offert un joli petit restaurant ce soir: brick au thon, salades, demi-gros, serveurs en costume-cravate, pianiste au synthétiseur jouant une guimauve arabo-techno n’importe quoi dans l'indifférence générale avec en toile de fond les variétés de la chaine Al-jazirah... C'est superbement kitsch!...

Flâneries en ville, tour du cap Africa avec ses ruines du port punique taillé dans la roche, balades à vélo dans la nouvelle "zone touristique" encore en chantier avec ses hôtels et résidences cinq étoiles, fast-food, pizzeria, safaris en quad sur la plage, courts de tennis, balades à cheval.... Ca me déprime un peu!...

Discussions avec les pécheurs dans le port... Constat général: il n'y a plus de poisson comme avant, la vie est dure.... Avec mon statut d'aventurier navigateur solitaire impécunier sur petit voilier, les contacts sont faciles et intéressants. Mon look a évolué depuis quelques mois: les cheveux que ne n'ai pas coupés depuis belle lurette ont commencé à s'emmêler aux extrémités. Peu à peu ils ont formé des mèches indémêlables, des dreadlocks de rastas. Plusieurs fois j'ai failli les couper car c'est très inconfortable et moche, mais pris au jeu et par curiosité, je persiste... Cela commence à attirer les regards et les interrogations muettes... Personnellement, cela me connecte à un grand yogi que j'ai fréquenté pendant des années en Inde, un Sage silencieux, Sri Satchitananda de Madras qui m'a beaucoup apporté dans ma quête spirituelle. Rien à voir avec les rastas jamaïcains et la culture du cannabis!....

Vendredi 7 janvier 2011

Ce matin, brusquement, je décide de partir. La sédentarisation m'encroûte. Besoin de prendre la mer, de bouger. Pas de conseil général, pas de discussion, je suis le seul maitre à bord. Les déclarations faites à la police, sortie du port. Soleil froid, vent de face mais le prochain port, Salakta, n'est pas loin, 7 Milles à peine. Cela fait du bien de naviguer....Même au moteur supportant la voile. Le port est tout petit, la ville presque un village, blanche aux bâtiments blancs, les roches d'un bel ocre chaud méditerranéen, le ciel bleu. Tranquille!....

Dimanche 16 janvier 2011, ATTAQUE DES PIRATES

Les évènements se sont précipités hier soir. Je passe une superbe journée ensoleillée dans les petites îles Kerkennah à naviguer tranquillement entre les petits îlots. Un pécheur que j'aide à réparer son moteur m'offre des poulpes et les prépare. Un autre bateau avec deux hommes à bord s'approche, m'offre du pain, des oranges et des dattes, et me conseillent de ne pas aller au port et de rester au mouillage car il y a des problèmes à terre!... Puis l'un d'eux reçoit un appel téléphonique: sa maison est en feu. Je viens d'ouvrir du champagne pour fêter le départ de Ben Ali, mais il n'a pas le temps de boire et ils s'en vont. Je bois la bouteille avec Hémi, le pécheur qui ne se fait pas prier. On fait frire les seiches, on parle, on mange et il me réclame encore une petite bouteille!... Après la sieste, je me balade au soleil sur un minuscule îlot désert juste en face. En fin d'après-midi, je vois revenir Hémi avec un compère, Shadok. Apéro du soir, civilités, amabilités, on discute de la situation politique du pays... Puis je vois une grosse fumée noire s'élevant du port. Intrigué, je le fais remarquer à mes invités; Shadok qui ne cesse de téléphoner avec son portable, annonce tranquillement que c'est le 4x4 du gouverneur qui brûle!...Il n'y a plus de police dit-il!... Puis Hémi insiste pour que je lui resserve un verre de whisky, puis un troisième, qu'il vide d'un trait à chaque fois. Je n'aime pas trop cela, au 4ème je refuse, mais il insiste en se fâchant... De guerre lasse, j'obtempère puis le climat commence à changer. La nuit tombe, je lui demande de rentrer chez lui et là il devient violent. Il me demande un couteau en faisant signe qu'il veut me trancher la gorge!... Puis il se penche, arrache le tuyau d'essence du moteur, allume son briquet et menace de brûler le bateau?...!... Cela tourne vinaigre, j'essaye de le calmer, prend à témoin son ami, palabre etc... Puis soudain il plonge dans la cale de sa barque et ressort avec une bouteille plastique pleine d'essence qu'il pulvérise dans ma direction... là vraiment ça tourne mal. Et ce con, ivre, l'allume et la jette sur le bateau (tout en plastique!...). Heureusement qu’il loupe l’entrée de la cabine, sinon !... L'essence se répand sur le toit et s'enflamme. Je parviens à étouffer les flammes et à jeter la bouteille qui continue à flamber sur l'eau... Puis tout s'accélère. Il commence à verser son bidon d'essence à la surface de l'eau avec l'intention évidente d'y mettre le feu pour incendier le bateau. Il faut réagir vite. Je veux partir, mais son compère m'en empêche en amarrant sa barque au bateau. J'essaye de me dégager et là l'épreuve de force commence. Il fait nuit maintenant. Je saisis mon couteau de navigation toujours à la même place sur le pont et le gars me met en garde: "attention, pas de couteau, sinon..." Je n'ai pas le choix. Je coupe prestement l'amarre, repousse leur barque, démarre le moteur, court à l'avant remonter l'ancre, attrape au passage la grande godille que j'avais laissé sur le pont comme arme éventuelle!... Eux prennent leurs grosses rames pour me frapper, heureusement, le coup est à chaque fois dévié par les haubans et j'arrive à asséner un gros coup de godille sur la tête de l'un d'entre eux. Cette fois la guerre est déclarée. Un autre coup sur la tête du compère qui en tombe assis et j'en profite pour accélérer le moteur et me dégager... Et c'est le début de la course poursuite sous le clair de lune... Ils me talonnent. Leur moteur de 6cv contre le mien de 4cv!... Mais leur grosse barque de bois rétabli la différence. Les alentours de Kerkennah sont très peu profonds avec parfois des hauts fonds à 20cm... Quatre fois je me suis échoué à l'arrivée. Et cela dure sur des milles et des milles. J'essaie de prendre la route des bateaux de pêche, mais dans le noir ce n'est pas aisé!... Rentrer au port?... Mais il n'y a plus de police ! Au bout d'un quart d'heure ils sont à mes trousses et paf, je butte sur un haut fond. Plus moyen d'avancer ni de reculer... Ils arrivent sur moi, essaient d'aborder, je les repousse à coup de rame... "Français, tu vas mourir ce soir en Tunisie!..." me crie l'un deux pendant que l'autre répand son bidon d'essence autour du bateau... L’adrénaline monte ! Je ne suis pas encore mort et me battrai jusqu'au bout. Ultime tentative avant la mort, sauter à l'eau, soulever le bateau et tenter de le dégager avec l'énergie du désespoir. Ça marche. Un coup de marche arrière puis en avant toute... Ils se lancent à ma poursuite... Seigneur, à toi de jouer, fais qu'il n'y ait plus de hauts fonds.... Et cela dure, dure, ils ne me lâchent pas. La mer est d'huile, pas un brin de vent pour mettre les voiles!... La lune se reflète comme sur un miroir. Calmement, j'installe le pilote automatique, range tout ce qui a été jeté à la hâte dans la cabine... En regardant par-dessus bord, on voit le fond sablonneux avec les taches sombres des jardins de posidonie, proche de la surface de l'eau!... Bon Dieu, écartez-moi des hauts fonds!... Et ils sont toujours derrière, la tâche sombre de leur barque de mort ne lâche pas... Ils doivent être enragés par les coups reçus sur la tête, s'ils m'attrapent, c'est ma fête.... Jamais de ma vie je n'ai connu de telle situation!... Comme dans un film, mais cette fois c'est du réel.... Pas de peur, pas de panique, mais une certitude: s'ils m'attrapent, ça va faire mal... Une heure plus tard, je ne suis plus sûr de les voir. Ralentissons le régime pour épargner le moteur, une panne serait fatale!... Réparation du tuyau arraché, y-a-t ‘il assez de carburant?... Encore pour quelques heures!.... Il semble qu'il n'y ait personne derrière?... Et ce banc des Kerkennah qui n'en finit pas!... Pas de fond. On voit toujours le sable et les herbiers de posidonie si proches!... La carte indique 15miles avant d'avoir des profondeurs de 6 ou 7 m... Une légère brise de terre permet de hisser la grand-voile et de ralentir le moteur pour économiser le carburant. Maintenant, ils ont abandonné la poursuite, faute de carburant peut-être... Je décide de quitter la Tunisie et de faire cap sur Lampedusa, 72 milles, première île italienne, l'Europe...Si je reste en Tunisie je ne serai jamais tranquille...Tant pis pour les formalités de sortie du territoire, j'ai sauvé ma vie!... Le vent s'est levé, après une nuit de navigation, arrivée sain et sauf à Lampedusa à midi. Désormais je savoure chaque instant comme une nouvelle vie... En repensant à l'histoire, je ris en pensant qu'ils sont probablement tombés en panne d'essence après avoir vidé le réservoir sur la mer pour m'incendier... Et comme pendant la bataille j'ai récupéré une de leurs rames avec laquelle ils ont tenté de m'assommer (je l'ai encore comme trophée de guerre sur le pont du bateau...) Ils ont bien dû rigoler pour rentrer à la maison en se frottant la bosse que je leur ai laissée sur le sommet du crâne!...

Mercredi 2 février 2011, LE PREMIER REFUGIE DE LAMPEDUSA

Après ces épisodes mouvementés, le journal de bord est resté vierge... quelques bonnes journées ensoleillées dans des calanques de Lampedusa, rencontre avec Jean-Claude, un sympathique instituteur français à la retraite, transformé en vieux loup de mer barbu sur son ketch de 10m, naviguant depuis dix ans!... tous les soirs on se retrouve au bar Royal devant un ballon de rouge pour parler bateau, galères, naufrages, coups de tabac... enfin les choses qui marquent l'esprit!... Puis après plus d'une semaine, je profite d'un bon vent pour aller à Linosa, une petite île volcanique à 24 milles au nord-est, 3km de diamètre, 400 habitants, sans véritable port, juste un abri... Bonne navigation, de jour, soleil froid. Coup de cœur à l'arrivée!... Je n'y resterai que trois jours car la météo prévoit de fortes tempêtes dans le secteur et le port n'est pas très fiable... L'île est si petite qu'en deux jours on en a fait le tour à pied et même l'ascension du volcan: magnifique!... Mais un vieux paysan avec qui je discute au bord de la route me dit que c'est l'enfer... à cause du gouvernement, des lièvres qui viennent piller les jardins, des écologistes etc... LA VIE EST BIEN DURE !... Hier à deux heures du matin, sur un coup de tête et après avoir vérifié la météo, j'appareille et met les voiles. Une courte fenêtre météo s'ouvre pour avancer vers l'ouest, à l'île de Pantelleria, 75 milles. Là le port est bien protégé, Jean-Claude me l'a dit et montré des photos, j'y serai plus tranquille... Début de navigation appuyé au moteur pendant huit heures... J'espère arriver avant la nuit une fois de plus et une fois de plus, c'est raté... Le vent s'est levé un peu tard et d'énormes nuages noirs stationnent sur le sommet du volcan. C'est lorsque j'arrive à 3 milles du petit port le plus proche qu'ils éclatent. Je me mets à l’abri dans la cabine pendant que le pilote automatique fais son travail, mais à l'arrivée il faudra bien sortir!... Et je ne vois toujours pas les lumières de l'entrée du port!... C'est au GPS que je fais confiance et à 500m il n'y a plus de doute, c'est le port que je distingue au milieu de l'averse mais pas de phares... Ils vont m'entendre demain!... Puis en entrant, je comprends: le port est en chantier, pas un bateau!... Tant pis, je jette l'ancre jusqu'à demain matin. La tempête dure toute la nuit et le bateau tourne, tourne en rond mais pas de vagues!... Au petit matin, café, toilette de la cabine, je ne peux rester ici et je reprends la mer pour rejoindre le port principal de l'île où je trouve un ponton sécurisé et gratuit. Je fais figure d'extraterrestre dans ce port vide; aucun touriste en cette saison!... Ça se comprend: froid, orages, tornades... Mais il y a un certain charme dans ces croisières d'hiver que l'on paie par un réel inconfort physique!... Chaque matin j'éponge le plafond de la cabine d'un bon bol d'humidité généré par le corps et l'air ambiant. Le soir on rentre dans des draps humides et froids, dix minutes pour tout réchauffer!... Avis aux amateurs....

FIN DU JOURNAL DE BORD. Fatigué d’écrire dans ces conditions difficiles, manque d’électricité à bord en hiver, froid, humidité, inconfort, j’ai cessé de tenir ce journal. Maintenant c’est de mémoire que je le fais, en m’aidant des photos prises et datées par l’appareil numérique. La navigation n’a pas cessé pour autant !... N’ayant pas suffisamment d’argent pour mettre mon bateau dans un port à sec et rentrer à la maison, je suis contraint à rester à bord et à subir… Je visite donc Pantelleria pendant quelques jours. Ayant trouvé un ponton désaffecté donc gratuit, je sors mon vélo et visite l’île en plein hiver. Seul touriste, ambiance étrange, je m’ennuie un peu de ne pouvoir parler italien, de ne pas faire de rencontres !... Sauf un voilier français qui fait ne courte escale : il convoie un bateau neuf en Turquie, chez son nouveau propriétaire. C’est une des rares voiles que je verrai pendant l’hiver !... Profitant d’une courte fenêtre météo favorable, je quitte le port à minuit pour naviguer vers la pointe ouest de la Sicile. Je n’aurai guerre le loisir de dormir : la mer est pleine de cargos en attente, naviguant ou immobiles, inondés de lumière ou peu éclairés et je dois me faufiler au milieu de ce dédale, pas trop rassuré. Le vent est bon mais je ne sais où je vais !... Cela durera toute la nuit. Explication : c’est une zone de hauts fonds et les cargos jettent l’ancre et attendent les ordres des armateurs pour aller ici où là charger ou décharger selon les fluctuations boursières !...

Ce n’est qu’au petit matin que je sortirai de cette zone et que le vent mollira … Pas le choix, il faut appuyer la voile au moteur avant qu’il ne reprenne sa dominante ouest pour arriver au port de Mazara del vallo.

De là, je caboterai encore jusqu’aux îles Egadi à l’extrême ouest de la Sicile. J’y avais fait une courte escale il y a quelques mois… Une semaine de beau temps exceptionnel en mars me verra profiter de ces endroits exceptionnels, Favignana, Marettimo, Levanza et même Formica, une minuscule île privée que j’aurai le privilège de visiter accompagné d’un guide pendant une heure !...

Après une escale à Trapani, je remonterai la côte jusqu’au cap San Vito, site exceptionnel, avant de retourner voir Toto à Castellamare…

Contrairement à ce que je pensais, ce n’est pas en allant vers le sud que l’on va automatiquement vers la chaleur !... J’ai eu très froid durant ce mois de mars en Sicile. Tempêtes dans le port, nuits dans l’anxiété sans dormir, froid humide dans une cabine étroite sans chauffage… Ce n’est pas qu’un agréable souvenir. Heureusement que mon ami Toto était là pour me réchauffer le cÅ“ur, me faire découvrir son coin de Sicile et me faire profiter d’une douche chaude de temps à autre. Après quelques semaines je décide de remonter lentement vers Nice où je laisserai mon bateau pour me rendre à l’anniversaire de maman, 90 ans. Je longe à nouveau la côte nord de la Sicile en profitant cette fois pour visiter les îles éoliennes, Alicudi, Filicudi, Salina, Lipari, Vulcano et Stromboli. Vulcano m’a laissé un profond souvenir : grande marche solitaire sur la circonférence du cratère, approche des crevasses et cheminées bordées de soufre cristallisé d’où s’échappe dans un sifflement strident les fumerolles du dieu des abysses… Tout au fond, majestueux, s’élève l’Etna couronné de ses neiges hivernales. Baignade dans les sources chaudes en bordure de plage !... Paysages grandioses, tempête d’orage mémorable en navigation de nuit, frousse bleue, Vulcain m’a baptisé !... J’ai survécu. Les jours passent en attendant la fourchette météo favorable et en visitant ces îles mythiques… Un jour, annonce d’un vent sud-ouest, rare à cette époque : il faut y aller même s’il risque d’être un peu musclé. Il me fera atterrir vers Naples. Départ le matin de Lipari par petite brise, passage à côté de Panaria avec ses magnifiques rochers déchiquetés et arrivée vers Stromboli, cône parfait qui crache son éruption régulière toutes les dix minutes environ. J’espère y trouver un petit ponton pour y passer la nuit tranquille !... Mais non, le vent se renforce soudain, je passe sous le vent du volcan, c’est justement le côté des coulées de cendre et de lave. Pendant que je réduis la grand-voile, une détonation plus forte que les autres et des dizaines de morceaux de lave tombent autour du bateau !... Il ne fait pas bon trainer par ici : un morceau en fusion sur le pont en plastique ?... A éviter. D’ailleurs une bourrasque ne m’en laisse pas le loisir et je pars chercher un abri en face d’un petit village de l’autre côté. Mais le cône du volcan se prolonge dans la mer et si je trouve un petit mouillage possible, il est à quelques mètres seulement du bord : trop risqué. Je dégage donc à la nuit tombante et le vent m’emporte pour une nuit de navigation musclée qui restera gravée à jamais dans ma mémoire !... Toile réduite au maximum, grand-voile rentrée, je cherche la taille optimale à donner au génois pour provoquer le moins d’embardées possibles. Les déferlantes envahissant le cockpit toutes les dix minutes, je me réfugie dans la cabine. J’ai un peu peur… L’eau est à dix degrés et s’il m’arrive quoi que ce soit, personne ne viendra me chercher par cette nuit de tempête… à minuit, la lune disparait et c’est dans le noir complet que la course folle continue !... Les heures passent, impossible de s’arrêter, on attend… Bien calé allongé sur la banquette tribord arrière, je ne dors pas mais écoute les mugissements de la mer. Régulièrement, une vague plus grosse que les autres éclate sur la porte plexiglas de la cabine, provoquant une embardée. Le pilote tient pour le moment. Pourvu que ça dure !... Il reste un petit quart de lune descendant sur l’horizon, éclairant faiblement les creux de vagues surmontées d’écume… Bientôt, il est minuit et la lune disparaît, laissant l’imagination dessiner dans le noir absolu des vagues gigantesques engloutissant mon petit bateau… Folie, Caprice, qu’est-ce que je fous ici ?... Le vent n’en démord pas, les heures s’écoulent lentement, minute par minute. De temps en temps je fais le point, voir si je ne m’approche pas de la côte ? Quand le jour se lèvera-t’ il enfin ? Six heures trente, les premières lueurs laissent enfin voir les creux impressionnant. Je tente ce que j’ai lu dans les livres de Moitessier : laisser trainer une ancre à l’arrière du bateau pour le freiner et le stabiliser. J’en ai une à demeure sur le balcon arrière ; cela marche à merveille ! A refaire dans pareille situation. Il suffit de régler la longueur de chaine pour ralentir plus ou moins la course. La côte est maintenant proche et je repère une échancrure derrière une falaise pour me mettre à l’abri et jeter l’ancre après trente heures de navigation musclée.

RETROUVAILLE !....

En ouvrant mon vieil ordinateur, j’ai retrouvé une suite du journal écrite à partir du 10 mars et qui reprend les lignes écrites ci-dessus de mémoire… Voici donc la version originale.

Jeudi 10 mars 2011

Cela fait plus d'un mois que je n'ai pas écrit un mot!... Peu de navigation, panne d'ordinateur, froid de l'hiver, démotivation?...Paresse aussi, il faut le dire, ajoutée au peu d'autonomie que permettent les batteries alimentées par le panneau solaire en hiver. Les journées sont courtes et le soleil, bas sur l'horizon ne charge pas le panneau de face. L'idée était venue de faire un système simple pour le redresser et ainsi mieux profiter des rayons de l'astre du jour, même un petit croquis qui traine encore dans le vide poche, puis!..... Je navigue actuellement vers Vulcano, l'une des îles éolienne située au nord/est de la Sicile. Je ne l'avais pas visitée il y a quelques mois bien que son nom étrange et mythologique était attirant!... Mais à ce moment-là, un vent favorable poussait vers le détroit de Messine et l'envie sans doute de naviguer au loin, vers la Grèce.... Le soleil est là, le vent faible oblige à soutenir les voiles avec un peu de moteur et ainsi surproduire de la précieuse énergie électrique. Il fait frais dehors alors j'ai allumé l'ordinateur, d'abord pour voir la carte et la météo, puis j'ai relu un peu du journal de bord. Beaucoup de fautes, mais intéressant néanmoins... Et puis cela fait un peu d'exercice pour les neurones et pour les doigts!...

Donc, début février j'étais à Pantelleria. Quelques jours, du froid, du vent, des petites randonnées en vélo... Une île volcanique de couleur grise de lave... de jolies maisons bâties encore aujourd'hui sur le schéma traditionnel au moins de l'extérieur!... Murs de lave grise couverte d'un petit dôme aplati blanc, entouré de jolis jardins de cactus... Vestiges archéologiques d'il y a plus de 5000 ans... des communautés bien organisées y vivaient déjà. Le vent soufflait pendant des jours vers Tunis, mais de face pour rejoindre la Sicile. J'ai bien pensé retourner en Tunisie, distante d'une petite journée de navigation seulement pour y dépenser les 400 dirhams (200€...) qui me restent, mais une force intérieure m'en empêchait. Je n'ai pas de ressentiment contre les tunisiens, mais l'expérience a été un peu forte!... Puis comme toujours, le vent a tourné pour ouvrir une fenêtre météo. Départ de nuit, dans le froid, slalom entre les cargos jusqu'au petit matin avec de courtes périodes de repos et de nombreuses pauses café pour se réchauffer... Un petit cargo me rase de près!... Vigilance dans le secteur. Certains cargos profitant de hauts fonds dans la zone, jettent l'ancre et attendent des ordres de leurs armateurs... on a parfois l'impression d'être dans une véritable ville flottante!... Puis le jour se lève pendant que le vent baisse... La terre est encore loin et il faut mettre le moteur!... Arrivée enfin à Mazzara del Vallo dans l'après-midi, vent de face. Accostage au fond du port, parmi les pécheurs, au cœur de la vieille ville.... Des vagues bien sûr à chaque passage d'un bateau de pêche à partir de 3h du matin, le hurlement des disqueuses et le pilonnage des bulldozers sur le chantier de démolition navale juste en face dès 8h du matin... je ne ferais pas de vieux os ici!...

Samedi 12 mars 2011

Je fais cap actuellement sur Stromboli, cet impressionnant volcan surgit de la mer et qui produit une éruption toutes les 10mn!... Hier je marchais sur le bord du cratère du Vulcano, parmi les fumerolles sulfureuses, jaillissant de la terre dans des sifflements ahurissants!... C'est fortement symbolique pour un marin d'être pratiquement dans la bouche du dieu du vent, car ce volcan est depuis la plus haute antiquité considéré comme la demeure d'Eole. Paysage hors du temps, hors du monde... Le soleil était de la partie. Un sentier fait le tour du cratère que l'on peut parcourir en moins d'une heure, et à un certain point l'Etna se distingue au loin avec son sommet enneigé culminant à plus de 3400m. Magique!...

La météo réelle, ces derniers jours ne suit plus du tout les prévisions habituellement fiables que j'ai par Ugrib?... c'est pour cela que j'ai quitté Lipari ce matin, le vent n'ayant pas la violence annoncée hier. J'ai heureusement eu temps de visiter hier soir le quartier historique de la ville où l'on peut voir toutes les tranches d'histoire remonter jusqu'au paléolithique... Mais je préfère profiter des bonnes conditions météo pour entamer le retour vers le nord et peut-être atteindre Naples sous peu... Ensuite je longerai la côte italienne en villégiature.

Lundi 14 mars

Pas vraiment le temps d'écrire hier. Parti au moteur de Lipari, le vent a commencé à monter de façon agréable accompagné de soleil. Passage entre l'île de Panarea et ses spectaculaires îlots rocheux déchiquetés, sans m'arrêter, je continue sur le Stromboli, espérant y faire halte pour la nuit bien qu'il n'y ait pas de port annoncé. En approchant, le vent se renforce un peu et en approchant de la digue aux ferries, je vois qu'elle est impraticable à cause des vagues. Dommage, un joli petit village est accroché au-dessus. Je contourne le volcan sous le vent et profiter pour réduire la voilure. Pendant ce temps, une éruption se produit accompagnée d'explosions et d'une épaisse coulée de fumées et de cendres jusqu'à la mer, à quelques centaines de mètres du bateau!... Ne nous attardons pas. A peine contourné, le vent s'engouffre dans les voiles et avec beaucoup de peine j'approche de l'autre village. Il y a bien un petit coin derrière un rocher où je pourrai jeter l'ancre, mais c'est risqué car si la météo dit vrai, un fort coup de vent se prépare cette nuit. Pas le choix, remonter le plus possible vers la côte où le vent sera plus modéré car piquer droit sur Naples, distante de 110 milles me ferai passer la nuit au milieu du plus fort de la tempête!... Quelques heures plus tard, le vent a encore forcit et il faut ramener toute la grande voile pour ne laisser que le génois plus facile à régler durant la nuit. Le vent continue de monter, les vagues pas encore très hautes commencent à moutonner, une bonne nuit en perspective! Heureusement, cette fois le vent souffle de tribord. Le côté où la couchette du navigateur se trouve, au meilleur point de gravité du bateau. Je la prépare car c'est l'endroit où j'emmagasine d'ordinaire toutes sortes de choses... La nuit tombe pendant que le vent monte. Il faut encore réduire le génois et trouver son meilleur réglage pour éviter la gîte et les embardées. Il n'en reste maintenant qu'un petit triangle situé trop haut sur l'enrouleur, mais pas le choix!... Si j'augmente la surface, il claque donc souffre et je risque des embardées voire d'être couché lors des rafales et si je réduis encore, ce sont les déferlantes qui risquent d'envahir le cockpit. D'ailleurs, tous les quarts d'heures la porte arrière en plexiglas en essuie une. Heureusement que le pilote automatique marche bien au grand largue car je me vois mal passer la nuit dehors à la barre!... Bien installé maintenant, je fais le point sur la carte toutes les deux ou trois heures et la lune accompagne la première moitié de la nuit. Le vent lui, monte encore d'un degré. C'est très impressionnant quand vers minuit la lune disparaît et que le bateau fonce dans le noir, saute, tangue, crie et hurle et que ma vie est accrochée à ce frêle esquif balloté dans la tempête... "On est bien peu de choses..." Je décompte les heures en attendant les premières lueurs du jour. Les lumières de la côte se distinguent tout au loin, mais personne ne viendrai me chercher au cas où !... Je pourrai faire cap sur un abri derrière un phare distant d'une trentaine de milles, mais à la vitesse ou je glisse, j'ai peur d'y arriver de nuit et peut-être piégé dans des rouleaux qui me jetteraient sur une côte que je ne connais pas. Même de jour c'est un risque car on ne sait pas comment se présente la côte?... Je continue donc à me faire de l'autosuggestion rassurante: jusque-là, ça va, le vent n'est pas supposé monter plus haut, le gréement est refait à neuf, la voile est solide alors pas de panique. Je me rappelle d'avoir lu que Moitessier préconisait de jeter une ancre à l'arrière pour freiner le bateau et le stabiliser perpendiculairement aux déferlantes. Je n'ai pas envie d'essayer maintenant, au cœur de la nuit noire, mais demain... Les premières lueurs du jour commencent vers cinq heures du matin. Vers six heures il fait clair et c'est rassurant de voir!... La mer est quand même forte, mais j'ai vu pire. Je fais l'essai de l'ancre arrière; c'est maintenant ou jamais!... Et le résultat est tout à fait satisfaisant: quinze mètres de chaine derrière l'ancre et quelques mètres de bout fixé au taquet et le bateau est stabilisé. Rassurant, j'aurais dû faire ça avant!... Par la suite, je réduirai la longueur, même avec cinq mètres, ça fonctionne... A recommander à tous les marins. Cela fait des mois que j'avais installé une ancre arrière, fixée sur le balcon, facile à dérouler lors de mouillage dans d'étroites calanques pour éviter les rochers lorsque le vent s'amuse a faire des galipettes... Je m'en félicite. Vers midi, j'arrive à l'entrée du golfe de Salernes. C'est là que j'espère pouvoir virer, me mettre à l’abri d'un relief annoncé sur la carte et enfin faire une pause... Cela fait plus de trente heures que je navigue et je ne suis pas en compétition!... Le vent a encore forci et les creux sont parfois impressionnants. Difficile à évaluer, mais certains font au moins quatre mètres et beaucoup déferlent... Mais je ne crains pas avec mon système d'ancre flottante. Il faut d'ailleurs la ramener, car au virage du cap que je veux serrer au plus près pour trouver l’abri éventuel du vent, le fond peut remonter jusqu'à trois mètres. Il ne faudrait pas que l'ancre s'accroche par l'arrière! Il y a un petit îlot avec le phare dessus et un passage d'une trentaine de mètres que je distingue maintenant. Le fond remontant, j'espère que la houle ne se transforme pas en grosses vagues à surfeurs comme à Biarritz!... Mais en passant au large de l'îlot, je crains de ne pouvoir remonter au vent pour me mettre à l’abri. C'est quitte ou double! Je mets le moteur en marche, au cas où... Il démarre, puis cale aussitôt. Il ne manquait plus que cela! J'essaie, j'essaie, en vain, rien à faire. Les pannes, c'est toujours au bon moment. Il est maintenant trop tard pour changer d'avis. Je vois des rouleaux se briser à gauche, d'autres à droite et un petit passage entre les deux. Heureusement je navigue dérive remontée, même si je touche, ça devrait passer!... Derrière le cap, la mer est plate. Il y a même un petit abri pour les barques de pèche. Le vent continue de souffler, mais avec le seul génois et le moteur en panne, je suis incapable de remonter me mettre à l’abri dans le port. Une seule chose à faire, jeter l'ancre. Le fond est sablonneux et semble de bonne tenue. Ouf, arrêt. Sinon je devais faire trente-cinq milles de plus, chercher abris derrière l'île de Capri ou dans la baie de Naples... C'est à dire encore toute une journée... Et j'en ai marre!... Pas tout à fait à l’abri (à 400m du port, face au vent, oublie la godille!...) mais pas tout à fait exposé, il n'y a plus de vagues, je me prépare un vrai repas chaud, le premier depuis hier matin. Il semble que le vent ait encore monté; son sifflement lugubre dans les haubans l'indique. L'ancre tient bon, même si le bateau louvoie étrangement au bout de la chaine?... Je mange, bois quelques verres de vin rouge et m'immerge dans une sieste bienfaisante... Une heure plus tard, au réveil, je tente de redémarrer le moteur: il marche?!!!.... Je vais me mettre à l’abri un peu plus loin. Mais pour cela il faut remonter l'ancre à la main contre ce vent démoniaque et ce n’est pas coton. Je pense à m'aider du moteur couplé au pilote auto et cette fois, c'est celui-là qui est en panne!.... La loi des séries... Heureusement que j'ai pu jeter l'ancre, car continuer à naviguer sans moteur et sans pilote jusqu'à la fin du vent prévue dans trois jours le long des côtes napolitaines puis romaines avec tout le trafic des cargos et ferries!.... Au prix d'énormes efforts, l'ancre est enfin remontée et je pars mouiller un peu plus loin à l'abris de la falaise où je passerai une nuit tranquille.

Vendredi 18 mars 2011

Le lendemain matin, le vent est tombé... Soleil. J'en profite pour renforcer la grand-voile qui commençait à se percer au niveau de l'extrémité de la barre de flèche... Déjà, avec une voile neuve!... C'est la pression extrême en naviguant vent arrière, mais si on veut soulager en bordant un peu plus la bôme, le bateau part au lof!... Une bonne pièce de toile neuve de chaque côté du point faible, collée au mastic silicone marine et le tour est joué. Il ne reste plus qu'à ressortir l'autre pilote automatique, le nouveau que je n'utilisais plus depuis quelques mois à cause de sa connexion très aléatoire... Cette fois, pas de quartier, je sacrifie la prise de pont, fais un branchement de fortune directement sur le tableau électrique intérieur et ça marche. Il est 9h, cap sur Capri... 35 milles... sous le soleil...avec une légère brise dans le dos... qu'il faudra soutenir au moteur... toute la journée!... A un moment, je croise une vedette de carabiniéris qui fait un détour pour voir qui est cet olibrius à poil sur son petit voilier au milieu de l'immense golfe de Salernes... Je passe promptement et pudiquement un short pour les accueillir... "francès? solo? où aller?.. Ah, comprendo!..." bon ça va. Rassurés que je ne transporte pas d'immigrants clandestins à bord, ils s'en vont sans inspecter l'intérieur de la cabine... Il est vrai que l'ils avaient voulu le faire, la manœuvre d'abordage aurait été compliquée pour eux (autre avantage des petits bateaux, les autorités hésitent à inspecter l'intérieur tant l'embarcation est instable à plusieurs passagers!...) C'est vrai qu'en cette saison, je suis pratiquement le seul voilier à naviguer et j'ai la mer à moi seul (sauf les cargos... ça vas de soi!...). C'est quand même un sacré avantage qui compense la météo difficile... Autre avantage, les marinas sont fermées et je n'ai pas encore payé une place de port jusqu'à maintenant!... Et les marins pécheurs me considèrent avec un certain respect quand ils voient d'où je viens... et me font volontiers une place sur le ponton. La visibilité est très faible et ce n'est qu'en fin d'après-midi que je distingue Capri, un immense îlot rocheux qui surgit de la mer. Le vent a monté, je coupe le moteur, contourne l'île pour accéder au port, de jour pour une fois... trouve une place libre sur un ponton tout au fond au milieu des pécheurs... sans payer (car la marina de Capri est réputée comme l'une des plus voraces en saison, 130€ la nuit pour un voilier de 9m!...). Ce soir, pizza au feu de bois sur le port... Au petit matin, le bloc sanitaire étant ouvert, douche à peine tiède, mais la première depuis si longtemps, quel bonheur!... Puis visite du centre historique... C'est magnifique et inattendu. Un labyrinthe de petits passages, des villas de luxe, des jardins magnifiques... Depuis César Auguste qui l'avait choisie comme résidence impériale, artistes et hommes d'état sont tombés sous le charme de cette petite île. C'est à regret, mais le vent est trop favorable, que je quitte Capri pour traverser le golfe de Naples et atterrir à Ischia, 22 miles plus au nord. Il faut bien penser au retour vers Nice et en cette saison, on peut rester bloqué dans un port pendant des jours avant qu'une bonne fenêtre météo ne s'ouvre de nouveau!... C'est précisément ce qui se passe à Ischia où je suis depuis trois jours... mais cette fois je suis sur un ponton avec électricité, ce qui me permet de brancher l'ordi et de mettre à jour ce journal.

Mercredi 23 mars 2011

Quitté donc Ischia au petit matin, cap sur Ventosa à quelques 23 milles. Première des îles pontines, c'est un peu intrigué que j'aborde cette île. D'abord, en arrivant, un gros îlot rocheux avec une bizarre construction en rotonde à son sommet? J'apprendrai plus tard que c'est un ancien pénitencier! Pas facile de s'en évader... Ventosa est petite et adorable... ancien port punique taillé dans la roche, maisons coquettes aux façades pastel, l'île mesure à peine 3km sur 1 de large... On a vraiment l'impression d'être sur une île. Je profite de vent favorable pour partir à deux heures du matin vers l'île suivante, Ponza. Le vent est vigoureux, je n'ai mis que le génois. C'est bien suffisant. A l'arrivée, la mer est forte, le port n'est pas bien protégé et il y a du ressac. Pas très confortable. Il fait froid, le temps est maussade, je dors un peu, mange, fais un petit tour à pied et décide de faire le tour de l'île pour ètre protégé du vent et partir dans la nuit, continuer ma remontée vers le nord. Pas très envie de tarder ici en cette saison et bientôt les vents vont tourner!... Parti à minuit pour profiter d'un petit vent favorable... qui n'est pas au rendez-vous. Pas mal de moteur, à peine soutenu par la voile... sauf quelques heures où je peux arrêter le moteur. Arrivée sur Anzio, plein d'essence, quelques heures de repos, repas sur un ponton et départ à midi vers Rome à 22 milles et un vent favorable. A l'arrivée, le vent a tourné et je remonte au vent en voyant un immense nuage orageux envahir le ciel. Aurais-je le temps d'arriver au port de Rome avant l'averse? Moteur à fond, j'enfile mes vêtements de pluie et les bottes car je sens qu'il va me tomber sur la tête celui-là. Eh bien non... mieux vaut prévenir que guérir...



C'est à bord, naviguant par mer calme et ensoleillée que j'écris aujourd'hui. Je viens de quitter "porto di Roma" où j'ai passé deux nuits (17€40 au total... pas trop cher car transit, tarif mars!...) et pris une vraie douche chaude, rare occasion ces derniers temps... Hier, j'ai pris le train avec le vélo replié dans le sac, pour aller visiter Rome. A l'arrivée, dépliage rapide du vélo et j'ai pris la rive du Tibre, au hasard, n'ayant aucun guide de Rome sous la main. Il n'en est guère besoin, Rome est un musée ouvert où se superposent comme une immense lasagne plus de cinq mille ans d'histoire!... C'est magique, vraiment. La température était douce et le soleil présent. J'ai marché, roulé, visité églises et monuments jusqu'à saturation, vu et pénétré au Vatican.... Michel-Ange était vraiment un génie!... Même si le faste et la magnificence de cette basilique du catholicisme ne reflète pas exactement le message de pauvreté et de simplicité messianique du christ, le monument du point de vue architectural et artistique est impressionnant! Visité également le gigantesque monument à la gloire de la nation surplombant le forum antique. A un musée ouvert en permanence sur "l'identité nationale" et toute une partie consacrée à l'émigration italienne des 150 dernières années: plus de 13 millions d'italiens partis dans le monde entier!... Là j'ai compris que le point de vue de nos voisins sur cette question ne pouvait pas être le même que le nôtre...

Heureuse visite donc, mais je n'avais pas envie d'y retourner aujourd'hui. Il n'y a pratiquement pas de vent, mais du soleil, je navigue donc au moteur vers le nord, longeant la côte d'assez loin. Pour voir des immeubles alignés le long d'une immense plage, pas d'intérêt. Puis le vent se lève, moteur coupé jusqu'à Civittavecchia. A l'arrivée, je rase de vraiment près des rochers affleurant!... Attention mon vieux, vigilance constante!... Arrivée dans un minuscule petit port réservé à la ligue navale italienne. Peu de fond, je touche. Il suffit de sauter à l'intérieur, quelques coups de manivelle pour remonter la dérive et le tour est joué. C'est elle qui me sert de sonde! Un homme vient me voir, le gardien. Pas de problème pour rester une nuit. Encore une fois, vive les petits bateaux... La ville est rapidement visitée; totalement détruite par les bombardements de la dernière guerre, il y a peu à voir. Ce soir, magnifique pizza napolitaine sur la croisette en regardant les jeunes italiennes draguer: c'est le printemps!...

Jeudi 24 mars 2011

Départ en fin de nuit pour traverser le rail d'entrée portuaire avant le trafic des cargos. Il y a une énorme raffinerie toute illuminée telle un diamant sur l'eau à la sortie du port. Plus tard, la lumière des chalutiers danse devant moi ce qui rend la navigation incertaine... Très difficile d'évaluer la distance dans la nuit. Je garde mon cap, petite brise latérale soutenue au moteur qui alimente ainsi les feux de position en énergie, pilote automatique réglé, je surveille ainsi de l'intérieur de la cabine car il fait plutôt frais dehors. Au petit jour, ciel dégagé... Le soleil se lève, le vent baisse, moteur!... Je suis bien au large, en plein soleil depuis quelques heures quand machinalement je regarde le moteur: le jet du circuit de refroidissement ne coule plus!... Alerte! Arrêt immédiat, danger de surchauffe et de casse irréparable. Evidemment, les pannes arrivent toujours au mauvais moment! Seul en pleine mer, je ne vois même pas les côtes, que faire?... Je sors la godille; pas très convaincant. Je ne fais même pas un nœud de vitesse de pointe! Il n'y a plus qu'à attendre le vent. Pour l'instant, pétole totale. Au moins, il y a du soleil! Sans trop y croire, je sors le moteur, passe une épingle dans le trou d'évacuation de l'eau, souffle pour voir si le circuit est bouché... tout semble normal!... Remise en place, démarrage, tout va bien!... mystère, ouf et tant mieux, je me faisais déjà le scénario catastrophe, achat d'un nouveau moteur, journées d'attente etc... Le soir, arrivée à port hercule, une petite enclave naturelle dans les rochers ou je trouve une place de transit pour la nuit. Une drôle de douleur monte progressivement dans la jambe droite depuis quelques heures et maintenant, j'arrive à peine à la plier!... Curieux, aucun choc, ce matin je faisais des exercices d'assouplissement sur le pont, tout allait bien?... La nuit je suis obligé de prendre des dolipranes tant la douleur est vive!... Imagine que cela arrive pendant une longue traversée solitaire et que tu ne puisses manœuvrer le bateau....

Vendredi 25 mars

Malgré la douleur un peu atténuée par les médicaments, je prends la mer, direction l'île de Giannutri, petit îlot classé réserve naturelle à une quinzaine de milles. En approchant, je descends dans la cabine pour consulter la carte et trouver le chenal d'entrée. Cela ne fait pas cinq minutes que j'y suis quand des vagues insolites secouent le bateau!...?... Je sors la tête: un énorme cargo passe à quelques dizaines de mètres devant moi!... Je n'avais rien vu!... La visibilité n'est pas très bonne, quelques milles seulement, mais à ce point!... Je me croyais seul en mer!... J'ai eu de la chance encore une fois.... Merci mes protecteurs!... Arrivée dans l'île, je ne peux pas descendre, la jambe me fait trop mal. Repas, repos, départ pour l'île suivante, Giglio. J'y arrive avant le soir, fais un petit tour dans le port et m'offre une petite pizza chez une chinoise devant la télé qui retransmet un match de foot.... (qui aurait cru que quelques mois plus tard le paquebot Costa Concordia s’échouerai à quelques centaines de mètres de là !) Le lendemain, toujours mal à la jambe, je prends un bus pour visiter le village au sommet de l'île. Magnifique village médiéval fortifié. Un des plus beaux d’Italie. Je ne suis pas déçu.

Mercredi 30 mars, 3h du matin à l'île d'Elbe.

C'est la troisième nuit que je passe à Elbe, Les deux premières au mouillage, bien protégé du vent au fond d'une anse profonde. Temps maussade pendant deux jours, puis hier, soleil...Cela fait du bien; première sensation d'été, on sèche, on se réchauffe jusqu'à la moelle des os!... première baignade également!... Un peu fraîche mais ce doux soleil après.... Le mal de jambe est passé. Il est reparti comme il était venu. "Tout est impermanent" répétait inlassablement le Bouddha. C'est vrai que depuis un certain temps, je ressens de plus en plus l'usure du corps: douleurs aux articulations, fatigue à l'exercice physique... Le corps s'use. Il a beaucoup servi et on lui en a demandé beaucoup il est vrai. Mais cette fois, il apparaît clairement que c'est l'âge, la vieillesse qui s'installe et le mouvement est irréversible. Que l'on soit empereur ou mendiant, cela nous touche tous depuis des âges immémoriaux et nul n'en réchappe.... On a beau faire des liftings, du jogging, des régimes, se passer des crèmes anti-âge, on finira tous par manger les pâquerettes par la racine!... Qu'on le veuille ou non. Et finalement, on ne vit qu'un bref instant à la surface de cette petite planète bleue, poussière d'étoile parmi les étoiles.... "On est bien peu de choses, et mon amie la rose me l'a dit ce matin..." chante le poète. "On est comme des gouttes d'écume, projetés à la surface de l'océan infini, qui vivent un instant une vie individuelle et séparée, pour retomber l'instant suivant et se mêler de manière indissociable au sein de ce même océan..." dit un texte sacré hindou. Et si c'est cette somme de toutes les consciences individuelles du passé, du présent et du futur qui habitent tous les coins et recoins de notre univers connu et à connaître que l'on appelle Dieu, alors je veux bien... Conscience globale, conscience universelle, le Grand Tout, Brahman, Cela, le Sans-Nom sont d'autres mots pour le désigner. En prendre conscience, c'est une manière de méditer. Rester plongé au cœur du Silence de cette conscience sans limites en est une autre. Et cela nous élève au-dessus des petits aléas de la vie quotidienne sans se laisser submerger...

Samedi 2 avril

Toujours à Elbe. Soleil, vent du nord, je suis abrité au sud de l'île, sauvage, au fond de petites criques avec le vent soufflant au-dessus. Ce n'est pas encore la chaleur, mais laisser le corps respirer, nu, vêtu d'espace après ces quelques mois d'hiver assez éprouvants, cela fait du bien. Je n'ai pas envie de rentrer au plus tôt chez moi, le vent n'est pas favorable de toute manière. Je profite donc de cette pause bienfaisante pour "être" et cesser de faire ou d'aller quelque part...

N'empêche que avant-hier, en allant "nulle part", par temps calme j'ai réussi à m'empêtrer dans une situation critique que j'ai failli payer fort cher. A quelques milles seulement du port où j'avais passé la nuit, je jetais l'ancre face à une jolie plage déserte pout y passer quelques heures tranquilles. Après avoir mangé et fais une petite sieste, je m'avisais de débarquer sur la plage pour visiter les lieux et faire un peu de marche. La mer étant calme comme un lac, je m'approche, étrave en avant pour débarquer sur la plage sans me mouiller au-dessus du genou, l'eau étant assez froide. Eh bien, devinez?... au moment même où je débarque, une série de vagues successives pousse le bateau en travers et l'échoue sur la plage. En essayant en vain de le retenir je me mouille évidemment de la tête aux pieds. Mais cela n'est rien. Le bateau est secoué dans tous les sens par chaque vague qui arrive, et porté encore davantage sur la plage où il s'enfonce à chaque fois dans le sable plus profondément. Et pas question de l’abandonner là quelques heures, le sable agit comme du papier de verre et commence déjà à entamer de polyester de la coque. Il pèse quand même près d'une tonne et demi!... Personne à l'horizon. Je m'arque boute contre la coque pour l'éloigner à la faveur du reflux de chaque vague. Quelques centimètres sont ainsi péniblement gagnés mais maintenant il tourne sur lui-même. Je suis obligé d'ôter le gouvernail qui s'enfonce dans le sable et maintenant c'est l'hélice du moteur qui se bloque dans la plage... Je grimpe à l'intérieur du cockpit pour ôter le moteur, secoué dans tous les sens par le train de vagues qui reprend vigueur. Un coup d'œil dans la cabine: tout est sens dessus-dessous et comble, l'ordinateur gît au fond, le couvercle-écran d'un côté, le clavier de l'autre. En toute hâte je le mets à l’abri pendant que les vagues continuent à chahuter le bateau et moi qui valse à l'intérieur!... Puis retour à l'extérieur. Et la longue bataille commence. J'ai déjà connu pareille situation à St Tropez avec mon bateau précédent. Il ne pesait que six cent kilos et nous étions dix pour le remettre à l'eau. Et ce n'a pas été si facile!... Les vagues se sont maintenant apaisées et la petite quille de dix centimètres qui abrite celle qui est rétractable est solidement fichée dans le sable. La plage reste désespérément vide, il va falloir s'en sortir tout seul!... Je ne peux pas non plus tout laisser là, car chaque petite vague soulève le bateau et quand il descend, il cogne lourdement contre de gros rochers sous le sable... Les chocs brisent même le réflecteur de radar accroché en haut du mat et ses morceaux s'éparpillent sur le pont. Alors je gratte à mains nues autour de la coque. La plage descend brusquement juste à côté de là, il faut donc s'activer, mais c'est possible. A condition de ne pas se faire écraser sous le bateau lorsque une vague vient le pousser contre moi pendant que je creuse la tête au raz de l'eau, ce qui menace plus d'une fois. De temps en temps, je dois remonter sur la plage, reprendre mon souffle et me réchauffer les pieds, car l'effort est rude. Mais des signes encourageants montrent qu'il ne faut pas lâcher. Le vent souffle maintenant vers le large? Je déroule le génois: aucune force ne doit être négligée et c'est au bout de deux heures que le bateau se dégage et flotte... Je saute dedans, il ne faudrait pas maintenant qu'il parte seul!... Et je rentre au port de ce matin, à trois milles de là, épuisé mais content d'avoir sauvé la mise... Pourquoi n'avais-je pas mis l'ancre qui est là, à portée de main sur le balcon arrière et qui m'aurai évité tout ce tracas?... Par excès de confiance mêlé à un peu de paresse, pour ne pas me mouiller les pieds sans doute... En navigation, la moindre négligence peut être fatale. Sans trop y croire, je rassemble les éclats de l'ordinateur, les scotche ensemble, met le contact et oh, miracle!... Il marche.

Lundi 4 avril 2011 Hier matin, au lever du soleil, j'ai levé l'ancre pour rejoindre l'autre côté de l'île, le vent devant se calmer dans la journée. Après avoir contourné au moteur pendant près d'une heure, faute de vent, au détour d'un cap, j'ai été pris dans de puissantes rafales de vent. C'est l'effet de venturi, bien connu des marins. Le vent me poussant en direction de la Corse et m'empêchant d'atteindre mon but, j'ai décidé de filer sur la corse, mettant fin aux hésitations qui me tenaient depuis quelques jours. Au bout d'une heure le vent a mollit et j'ai soutenu la voile au moteur. Bonne navigation plein soleil et arrivée sur le cap Corse en fin d'après-midi. Les fichiers météo montrant une ouverture pour rejoindre le continent, je décide de continuer ma route. Plein d'essence dans le charmant petit port de St Sévère car le vent ne sera pas très fort et j'aurai certainement besoin d'assistance moteur. Une douche est ouverte, je ne laisse pas passer l'occasion avant de repartir. Moteur jusqu'au phare de Giraglia qui marque l'extrémité nord de l'île de beauté et là le vent commence de face. Pas trop fort comme prévu mais suffisant pour dynamiser les voiles et mettre cap sur Nice, 107 milles. Coucher de soleil, repas à bord pendant que le bateau maintient une allure respectable... en principe il va légèrement tourner au cour de la nuit et se renforcer un peu. Je prépare la couchette mais suis obligé de garder le moteur sinon j'arrive dans deux jours!... Vers deux heures du matin, il se renforce. Arrêt moteur, mais le cap doit être modifié; je n'arriverai pas à Nice, mais sur la côte italienne. C'est finalement à Impéria que j'atterri vers 4h de l'après-midi à cause d'une cessation complète de vent. Je suis à une quarantaine de milles de Nice où s'achèvera mon odyssée hivernale.... Rejoindre St Tropez où ma sœur Sylvie a déniché une place libre pour le bateau n’est plus qu’une routine agréable. J’y stationnerai deux semaines, le temps de remonter à Lille fêter le 90 ans de maman et je reprendrai la mer cette fois dans des conditions plus agréables…